Vidéo réalisée pour l’ouvrage « Stratégie » publié par les éditions Vuibert.
Demandez à un économiste ou un juriste ce que l’on doit entendre par entreprise, il vous répondra très probablement qu’une entreprise c’est d’abord une firme, donc un nœud de contrats marchands et de travail. Et il ira rarement au-delà de cette représentation puisque son obsession sera d’arrêter ce lieu de pouvoir, corollaire de formes d’autorité et d’inégalités, pour lui préférer la liberté du marché ou l’égalité des armes en lui opposant les vertus supposées ou avérées de la libre concurrence.
Posez ensuite la même question à un sociologue. Il vous dira qu’elle est un lieu de socialisation, une sorte de mini-société où interagissent des acteurs et où existent des règles certes formelles mais aussi et surtout informelles : des codes, une culture, un état d’esprit, en somme une sorte d’inconscient collectif. Dans une vision plus critique, les sociologues n’auront de cesse de voir des coalitions d’acteurs généralement avides de conquêtes de pouvoir, et d’espérer émanciper celles et ceux qui composent l’entreprise de rapports de domination qu’ils considèrent omniprésents.
Demandez maintenant à un gestionnaire, qu’il soit d’ailleurs dirigeant ou manager et il vous dira que l’entreprise c’est d’abord une aventure collective, et que comme dans toute aventure l’essentiel, l’objet qui l’intéresse c’est ce que met en jeu l’exercice du pouvoir puisqu’aucune société ne sait fonctionner sans relations de pouvoirs. Et que ce que démontrent les travaux de management, c’est la puissance créatrice ou destructrice de ce lieu où s’exerce toujours, par définition, l’autorité. Et que cette puissance dépend de la façon dont certaines entreprises progressent et apprennent, là où d’autres déclinent ou meurent. Avec pour corollaire l’idée forte que chaque entreprise est singulière. Comme le sont les mariages et les familles, par exemple.
Si l’on accepte l’idée que c’est cette dernière représentation qui est la plus utile à la décision et à l’action stratégique, alors plusieurs défis se posent pour comprendre l’entreprise vraiment apprenante :
• Chacune et chacun d’entre nous percevant et interprétant les stimuli de l’environnement selon ses propres acquis ou sa propre vision du monde, on risque de compter autant de représentations du réel que de décideurs ou de managers. Tout le problème, pour l’organisation, si l’on veut obtenir une vue cohérente de l’environnement, consiste alors à rendre aussi large que possible la représentation partagée.
• Un premier moyen est l’observation dirigée. Une grille de lecture collective permet ainsi d’harmoniser les représentations individuelles et de fournir ainsi une vision homogène. Chacun possède donc les mêmes instruments de lecture des faits développés par l’organisation. C’est le rôle des outils de gestion. Ainsi, par exemple, dans un fonds d’investissement, les directeurs de business units disposeront d’une « situation mensuelle » qui prendra en compte le chiffre d’affaires, le résultat, les stocks et les taux de marge. Ou dans un hypermarché, les chefs de rayon seront mensuellement confrontés aux tableaux de bord intégrant chiffres d’affaires, stocks, marges…
• En revanche, si les moyens de l’observation dirigée conviennent pour des événements répétitifs, il n’en va pas de même quand surgissent des problèmes nouveaux. La solution la plus couramment adoptée consiste alors à réunir les managers concernés afin qu’ils s’entretiennent des difficultés et qu’ils envisagent une solution : abandon d’une activité, externalisation… Ici, ce sont la coordination et la coopération qui doivent primer.
L’observation dirigée est pleinement cohérente avec ce que les auteurs Chris Argyris et Donald Schön nomment l’apprentissage simple boucle, ou James March l’apprentissage par exploitation :
L’organisation acquiert des informations pour comprendre les modifications de l’environnement et pour répondre à ses sollicitations, elle développe ainsi une sorte de mémoire « réflexe ». L’apprentissage à simple boucle correspond donc à une modification mineure, de court terme qui se déroule dans le cadre des règles existantes. C’est un apprentissage d’amélioration qui ne remet pas en cause les modèles de raisonnement. Le lancement d’une promotion ponctuelle dans le cadre de la stratégie existante entre dans ce cadre.
L’apprentissage à double boucle ou par exploration suppose une modification des modèles de raisonnement, des cadres d’interprétation. On ne va pas agir sur la politique de prix à court terme, mais on va remettre en cause le positionnement stratégique. Il s’agit là d’un apprentissage plus stratégique, qui constitue une rupture par rapport aux savoirs existants dans l’entreprise. Il y a là création de connaissances et source potentielle d’avantages concurrentiels pour l’entreprise apprenante.
En somme, l’apprentissage à simple boucle revient à se poser la question : « fait-on les choses comme il faut ? » et l’apprentissage à double boucle revient à reposer la question : « fait-on les choses qu’il faut ? »
Publié le lundi 10 juillet 2023 . 5 min. 38
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