Vidéo réalisée pour l’ouvrage « Stratégie » publié par les éditions Vuibert.
Les organisations mettent en place des structures très différentes. Certes, une entreprise multinationale ne peut pas se structurer comme une PME ou une start-up. De même une entreprise privée possède une organisation différente d’une université ou d’un hôpital. Mais au-delà de ces évidences, il faut s’interroger sur les facteurs d’explication de telles différences d’une organisation à une autre ?
C’est à Henry Mintzberg que l’on doit d’avoir répondu à cette question dans son ouvrage datant de 1979 : « The structuring of Organizations » puis début des années 80 dans un deuxième ouvrage : « Power in and around organizations ». Ses écrits n’ont rien perdu de leur actualité. La structure, qui peut être définie comme « la somme totale des moyens employés pour diviser le travail en tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination entre les tâches » se caractérise par 7 composantes :
1. D’abord, le sommet stratégique qui dispose d’une vue d’ensemble du système, s’assure que l’organisation remplit sa mission efficacement et sert les objectifs de ceux qui contrôlent l’organisation. Il attribue les ressources, règle les conflits, dissémine l’information, surveille et joue le rôle de leader. Son but est que l’organisation fonctionne comme une unité intégrée
2. Ensuite, le centre opérationnel qui réalise concrètement l’activité de l’organisation et est au contact de l’extérieur, en particulier des clients ou usagers
3. Enfin, la ligne hiérarchique qui relie le sommet au niveau opérationnel à l’image d’une courroie de transmission. Elle est composée notamment des cadres investis de l’autorité formelle et d’une délégation d’autorité. Plus on descend dans la ligne, plus le travail devient détaillé, prescrit et moins abstrait.
L’un des apports décisifs de Mintzberg a été de montrer que deux autres composantes, trop souvent passées sous silence, sont critiques au bon fonctionnement organisationnel :
4. la technostructure d’abord, qui regroupe les services qui élaborent et formalisent les règles et les procédures qui s’appliqueront dans l’organisation, comme la comptabilité, les ressources humaines, le contrôle de gestion, la qualité…
5. le soutien logistique enfin tels les secrétariats, la restauration, le gardiennage, qui regroupe les services qui fournissent un support à l’organisation pour accomplir ses activités, notamment aux membres du centre opérationnel.
Enfin, en intégrant plus spécifiquement la question du pouvoir, Mintzberg a ajouté deux composantes supplémentaires qui caractérisent toutes les organisations :
6. L ’idéologie qui résulte de l’histoire et des traditions de l’organisation et se matérialise dans des croyances communes et des valeurs souvent affichées par l’organisation. On parle aussi de sa « culture ».
7. La coalition externe qui regroupe les parties-prenantes extérieures à l’organisation mais qui impactent directement son activité, comme les actionnaires-propriétaires par exemple qui encadrent le pouvoir du sommet stratégique.
A partir de ces sept composantes, Mintzberg déduit qu’une organisation ou une entreprise pourra toujours être rapprochée de l’une des 7 configurations suivantes selon la partie clé qui se révèle dominante dans son fonctionnement :
• La structure simple est adoptée par les petites entreprises où le patron est souvent à la fois le leader, le propriétaire et le manager. Ces structures se distinguent par leur caractère informel (l’organigramme y est rare), le commandement direct, et souvent la non-organisation. La centralisation va de pair avec la réactivité et la stratégie entrepreneuriale est le fait du dirigeant. La partie dominante dans cette configuration est donc le sommet stratégique et la supervision qu’il exerce sur son équipe est directe. C’est typiquement la structure adoptée par les TPE, qu’il s’agisse de votre boulanger ou de votre buraliste de quartier.
• La bureaucratie mécaniste, également dénommée bureaucratie industrielle, se rencontre dans les grandes administrations mais aussi les entreprises industrielles (avec des usines de production) et les entreprises de services (comme la restauration rapide). Les tâches sont répétitives. Le travail y est rationalisé. Les procédures sont nombreuses. La spécialisation des tâches est forte (pouvant aller jusqu’au travail à la chaîne). La coordination passe par une standardisation des tâches ou des comportements, ce qui explique le rôle déterminant joué par les membres de la technostructure que l’on nommera d’ailleurs souvent peu affectueusement les… technocrates. Les services, comme les centres d’appel, appliquent aujourd’hui ce type d’organisation hérité de l’organisation scientifique du travail. Et l’on voit bien là l’apport de Mintzberg : nous faire comprendre que finalement il n’y a pas de différence si significative entre une préfecture… ou un restaurant McDonald’s !
• La bureaucratie professionnelle est présente dans les hôpitaux, les universités, les cabinets d’avocats ou d’expertise ou encore les entreprises de service où l’activité repose sur le professionnalisme des « producteurs », qu’ils soient médecins, professeurs ou encore experts-comptables. Ils sont membres du centre opérationnel en contact direct avec les patients, étudiants ou clients et ce sont eux qui détiennent le pouvoir et impriment leur marque à toute l’organisation. Ceci pour une raison simple : le mécanisme de coordination d’une bureaucratie professionnelle est la standardisation des qualifications par des instances externes à l’organisation (par exemple un Doctorat pour les médecins ou les professeurs d’universités, un diplôme d’aptitude pour les avocats ou les experts-comptables…). Ceci signifie que c’est d’abord de l’externe que provient la source de légitimité à exercer l’autorité, et non de l’interne comme dans les autres configurations. Un élément rendu indispensable car chaque tâche à réaliser présuppose l’existence d’une expertise attestée par des instances indépendantes.
• La structure divisionnalisée ou divisionnelle se rencontre dans les grands groupes multi-activités diversifiés, qu’il s’agisse de L’Oréal, Danone, Vivendi, Bouygues…. La décentralisation y est la règle, ce qui confère une place dominante à la ligne hiérarchique responsable de piloter les divisions. La coordination repose sur la standardisation des résultats (c’est-à-dire la dernière ligne du compte de résultat, chaque division étant généralement un centre de profit). L’intégration y est assurée par les procédures de type planification stratégique à 3 ans et par un système de contrôle (notamment budgétaire) omniprésent.
• L’adhocratie ou organisation innovatrice est une organisation adaptable selon les besoins et les contraintes liées à la tâche à accomplir. Une telle structure convient à la conduite d’activités uniques, non récurrentes, typiquement organisées par projet, ce qui confère un rôle dominant au support logistique pour faciliter les interactions et permettre une coordination par ajustement mutuel. Les activités complexes des secteurs des industries spatiales, de l’aéronautique ou de certains cabinets de consultants supposent souvent ce type de structure.
• L’organisation missionnaire se caractérise par l’omniprésence d’une idéologie commune à l’ensemble de ses membres. La standardisation des valeurs, partagées dans le cadre d’une culture commune et l’adhésion à la mission fondatrice, constituent le mécanisme de coordination majeur et le moteur interne du fonctionnement de ces organisations. On trouve ici typiquement le fonctionnement des organisations religieuses, toutes religions confondues mais aussi… terroristes ou parfois mafieuses, au sein desquelles les débats sur les valeurs sont interdits et où toute contradiction est étouffée.
• Enfin, la septième et dernière configuration est l’organisation politique ou politisée. Elle caractérise le régime de croisière de la vie des partis politiques, des assemblées nationales et autres Sénats, et n’a pour mission que de faire vivre la confrontation des idées sans objectif d’actions directes. Il n’y a donc pas de mécanisme de coordination. L’organisation politique caractérise donc le moment où l’organisation ne fonctionne plus (c’est le cas des grèves) ou qu’elle a pour objet non pas d’agir mais de faire émerger idées, projets ou programmes, comme par exemple en cas de préparation à une campagne électorale. La partie dominante est la coalition externe (qu’il s’agisse des électeurs ou de médiateurs) puisque ce sont les tiers qui permettent de dépasser les conflits. C’est typiquement ce qui se passe quand un conseil d’administration décide d’évincer un dirigeant.
En conclusion, on peut dire que les structures d’organisations et d’entreprises sont dans la pratique très différentes les unes des autres, potentiellement infinies même selon la taille, le secteur d’activité, la mission... Et c’est là tout l’apport de Mintzberg : avoir proposé une carte de repérage qui montre que finalement les structures possibles se résument à 7 configurations.
Publié le mardi 26 septembre 2023 . 10 min. 04
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