Nombre de managers caressent périodiquement le projet de se mettre à leur compte. Si tous ne passent pas à l’acte, leurs motivations sont souvent proches. Ce peut être pour s’extirper d’une hiérarchie pesante, pour avoir enfin le sentiment de travailler pour soi-même, pour espérer pouvoir enfin choisir ses missions, pour valoriser ce qu’on a appris jusque-là. Cette dernière motivation, centrée sur la valorisation de son expérience fait l’hypothèse que sa compétence professionnelle est pérenne. L’est-elle vraiment et pour combien de temps ?
Quatre risques menacent la compétence du manager qui se met à son compte :
Dessèchement et disruption
1-le risque de l’assèchement : c’est le syndrome du quadra qui maîtrise bien un sujet. Il recrée son emploi, parvient à se faire une clientèle et enchaîne les missions avec succès. Mais il ne voit pas qu’il se répète et, ce faisant, assèche sa compétence au lieu de la renouveler, en ne se rendant pas compte que son approche du métier perd en pertinence alors que le monde change. C’est une dérive non dite, imperceptible. Quand la prise de conscience s’opère, la compétence a vieilli avec son porteur. C’est la dérive lente par l’isolement, sans la stimulation d’une équipe, le brassage d’idées, l’air frais apporté par des jeunes qui ont été formés à de nouvelles techniques.
2-Deuxième risque, le risque de la révolution soudaine qui vient rendre caduques les pratiques passées. C’est le syndrome de la perte soudaine de pertinence. Dépassé, débordé, sidéré. C’est le directeur d’hôtel blanchi sous le harnais après des années dans des groupes hôteliers internationaux qui se lance dans le conseil dans l’hospitality business il y a dix ans, quand la vague AirB&B vient changer les règles du jeu du secteur. La disruption soudaine est le versant accéléré du desséchement précédent.
Syndromes des futurs retraités
3-Troisième risque, le risque de l’apesanteur une fois hors de son écosystème, celui de ne pas voir que sa compétence est alimentée et dépendante de l’organisation de son employeur historique. C’est le syndrome de certains futurs retraités qui souhaitent rester actifs. Ils n’anticipent pas que, une fois coupés des articulations internes, ne voyant plus passer le flux des échanges dont ils ont bénéficié pendant tant d’années au sein de leur organisation, en se plaignant d’ailleurs parfois d’en recevoir trop, ils n’auront plus la même capacité à alimenter et mobiliser leur expertise. Selon les activités, les technologies et les marchés, une estimation raisonnable suggère qu’il faut 18 à 24 mois pour avoir perdu en pertinence dans l’analyse, faute d’être dans les bonnes boucles d’information. Et le suivi attentif de la presse ne suffit pas, les informations clés sont souvent celles obtenues comme insider.
4-Quatrième risque, celui de rater l’essentiel. C’est le syndrome du préretraité qui voulant vendre des missions, commence par tenter de prouver son expertise à ses prospects en leur proposant une réponse immédiate à leur problème, par simple réflexe naturel. Sans réaliser qu’une mission consiste à comprendre le problème dans son contexte, à le décortiquer, à imaginer des options de solutions alternatives pour les discuter avec son client, etc. Bref commencer par un travail d’analyse pour légitimer des honoraires avant de sauter trop hâtivement sur une conclusion comme si elle coulait d’évidence. En ce sens, ne se transforme pas en consultant qui veut.
Au total, avant de plonger seul dans le grand bain de la liberté professionnelle supposée du passage « à son compte », fort du bagage de sa compétence professionnelle, un temps de réflexion s’impose pour s’interroger sur la pérennité, la solidité et l’auto-portance de son expertise dans la solitude de l’exercice professionnel indépendant.
Publié le lundi 1 avril 2019 . 4 min. 13
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