"Vous êtes Directeur associé chez Tallis consulting, membre du Groupe Square. Xerfi Canal TV vous reçoit aujourd’hui pour parler de l’offshoring. Ce qui motive une entreprise à entamer un projet d’externalisation, c’est bien sûr le souci d’économie. Il y a pourtant toute une série de risques et de coûts sous-estimés qui peuvent faire de l’opération un fiasco. C’est ce que l’on va évoquer aujourd’hui.
Alors d’abord, quels domaines sont concernés par ces coûts cachés ?
La première série de coûts cachés concerne le pilotage et la coordination, aussi bien en amont du projet que dans la phase post transition. En fait, les entreprises ont tendance à sous-estimer les coûts de gestion à la fois du projet en lui-même, mais également du fonctionnement en mode outsourcé. Elles ne réalisent pas qu’il faut prendre en compte l’ensemble des coûts dans leur estimation de départ, afin de s’assurer que le projet est réellement gagnant. Le suivi d’une activité outsourcée nécessite de mettre en place un suivi du contrat, de la performance des processus, de la qualité, du respect des SLA, donc pas mal de postes de coûts qui viennent s’ajouter aux estimations de départ.
C’est donc qu’il y a des risques sous-estimés ?
Oui, absolument. Il y a d’abord un véritable risque de mauvais choix de prestataire. Ce prestataire peut manquer d’expertise manquer de capacité ou être financièrement instable. Il peut également y avoir un risque lié à la phase de transition, avec la mise en place d’une stratégie inadaptée. Le scope des processus concernés par l’outsourcing ou le planning de transition sont parfois mal géré, ce qui peut conduire à des risques importants de rupture de charge, notamment dans le cas ou l’entreprise décide de lancer un plan de sauvegarde de l’emploi. J’ai vu quelques projets d’outsourcing sur lesquels l’entreprise a du embaucher des intérimaires de manière provisoire car une partie du personnel souhaitait quitter l’entreprise en utilisant le PSE, mais le projet d’outsourcing n’était pas prêt !
En fait, il peut y avoir un écart entre ce qui est fait et ce qui est attendu entre le partenaire d’offshoring et l’entreprise qui offhsore…
Oui, il peut y avoir par exemple une incompatibilité sur les standards de qualité et de processus projet, ce qui va entraîner une perte d’efficacité du delivery. Un autre risque sous-estimé, c’est celui du passage de connaissance entre l’entreprise et le partenaire d’offshoring qui peut provoquer un mauvais transfert de compétences sur un processus clé. Dans l’exemple que je vous citais précédemment, le transfert de connaissance doit se faire entre les salariés et les intérimaires, puis entre les intérimaires et le personnel offshore, ce qui provoque bien entendu de la perte d’information.
Mais ces connaissances restent néanmoins dans l’entreprise qui offshore, non ?
Eh bien pas forcément. On en arrive à la deuxième série de coûts cachés, qui sont les coûts RH. Il ne faut pas oublier que l’annonce d’une opération d’offshoring peut entrainer d’abord une dégradation de l’image de l’entreprise, mais aussi une perte de motivation et de confiance chez les salariés, et surtout le départ des ressources clés au sein de l’entité impactée. Les salariés qui vont quitter l’entreprise en premier sont souvent de très bons éléments ! Au final, il y a un risque d’irréversibilité ou en tous cas de coûts importants si l’entreprise souhaite un jour réintégrer cette activité.
Ces problèmes RH concernent-ils l’entité sur place ?
Oui, souvent, l’entreprise qui offshore a tendance à sous-estimer le turnover très fort dans la plupart des pays concernés par l’offshoring. Un turnover souvent lié à la pression sur les conditions de travail et au marché favorable de l’emploi, qui va entraîner une perte de l’investissement effectué dans la formation et l'apprentissage, ainsi qu’une difficulté à pérenniser les acquis et à faire progresser l’entité concernée.
En fait, on peut dire qu’il y a un véritable problème lié à une méconnaissance terrain ?
Effectivement, la société n’est pas toujours armée dans sa connaissance des problèmes interculturels, des spécificités locales en management ou des contraintes règlementaires. Cela génère souvent des coûts en déplacements importants, non prévus départ. Les conf call ont aussi leurs limites ! Et puis, même des petites choses comme la barrière de la langue se révèle compliqué… Il faut aussi penser au contexte économique. Dans un certain nombre de pays, le niveau de vie monte, et l’inflation comme le taux de change peuvent impacter fortement les couts. Pensez à la Chine, qui commence à elle-même faire fabriquer en Afrique !
Pour conclure en un mot, quel est le pêché principal des opérations d’offshoring ? Qu’est-ce qu’il ressort de l’inventaire que vous nous dressez ?
Si je reprends mon dernier point sur le contexte économique, on comprend que les activités délocalisées sont en fait tôt ou tard appelées à être rapatriées. Mais les entreprises n’y pensent pas. C’est ce raisonnement court-termiste qui domine et qui peut être inquiétant pour la suite. Un projet d’offshoring doit être mûrement réfléchit, et étudié en profondeur avec des spécialistes qui connaissent bien ce marché."
Philippe Fekik, Les risques et les coûts cachés de l'offshoring, une vidéo Xerfi Canal TV
Publié le lundi 08 juin 2015 . 6 min. 22
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