En pleine crise énergétique, les déplacements d’Emmanuel Macron en Algérie en août dernier suivis de celui d’Élisabeth Borne le 9 et 10 octobre ne sont pas dénués d’arrière-pensées sur une possible augmentation des livraisons de gaz algérien vers la France.
Des prévisions de croissance revues à la hausse
L’Algérie est en effet un acteur qui compte sur le marché. Dixième producteur mondial de gaz naturel, le pays est surtout le 8e exportateur de gaz naturel liquéfié. Avec le pétrole, il s’agit bien entendu de l’un des piliers de l’économie algérienne. Les hydrocarbures c’est très directement plus de 20% du PIB algérien, environ 47% des rentrées fiscales et plus de 80% des exportations en valeurs.
Il suffit de comparer deux courbes pour prendre la pleine mesure de la dépendance et de la fragilité d’un système construit depuis des années sur la seule performance du secteur des hydrocarbures : la première c’est celle du cours du Brent, la seconde celle du PIB en valeur. Des prix trop bas du pétrole et c’est l’assurance d’une chute de la croissance, des comptes courants et des finances publiques qui virent au rouge ainsi que des réserves de change qui s’épuisent très vites.
Bien entendu, au prix actuel du baril, l’Algérie est à l’abri à court terme de difficultés et c’est d’ailleurs l’un des rares pays pour lequel les prévisions de croissance pour 2022 ont été revues à la hausse par la Banque mondiale. Ce n’est finalement pas 3,2%, mais 3,5% de hausse du PIB qui sont attendus cette année et encore près de 2% en 2023 quand le reste du monde cale.
Essoufflement industriel
Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, celle d’une industrie en perte de vitesse, notamment les entreprises publiques qui pèsent encore lourd (28% du PIB hors pétrole). Or, cette désindustrialisation publique n’a été que partiellement contrebalancée par le privé : poids de l’administration, de la corruption et du lobby des importateurs qui bloquent son développement. Quant aux grandes sociétés privées, elles sont peu autonomes, le plus souvent liées à l’appareil politique et à l’armée avec qui elles entretiennent des relations parfois douteuses. Bref, la tendance est à l’essoufflement industriel depuis de nombreuses années. Mais c’est le cas aussi du vaste secteur agricole qui représente encore 13% du PIB.
Signe des dysfonctionnements de l’économie, le nombre massif de demandeurs d’emploi qui se sont inscrits à l’Agence Nationale de l’Emploi à la suite de la mise en place en février dernier d’une allocation chômage au profit des jeunes primo demandeurs d’emploi, c’est-à-dire les 19-40 ans. Plus de 4 millions de personnes comptabilisées en mars, soit 14,4% de la population algérienne en âge de travailler selon la Banque mondiale, ce qui représente un niveau plancher pour le taux de chômage.
La faiblesse des investissements directs étrangers est un autre indicateur, celui du manque d’attractivité du pays. Ils reculent continuellement depuis 2018. En outre, depuis un plafond à 2,7 milliards de dollars reçus en 2009, les flux entrants ont été divisés par 2 en moyenne sur la période. Quant aux stocks d’IDE, ils continuent de s’élever, mais à 34 milliards d’euros en 2021, c’est moins de la moitié de ce dont dispose le Maroc par exemple.
Une nouvelle voie se dessine
Toutefois, un virage semble avoir été récemment pris pour redonner des couleurs à l’ensemble du tissu économique. Cela a d’abord été l’abandon de la règle « 51/49 » qui exigeait la participation majoritaire algérienne à toutes les nouvelles entreprises, un frein évident aux IDE. C’est également une jeune industrie pharmaceutique en plein essor. Les produits de santé ont longtemps été une enveloppe budgétaire, c’est devenu un levier de croissance. C’est aussi la volonté de mieux exploiter un sous-sol riche pour soutenir la réindustrialisation du pays. Avec notamment le Projet Phosphate Intégré (PPI) dont l’ambition est de permettre aux pays de devenir l’un des principaux exportateurs d’engrais et de fertilisants au monde. Il faut signaler aussi l’offensive dans le minerai de fer avec l’inauguration cet été de la mine de Gara Djebilet qui permettra d’alimenter la sidérurgie nationale et d’exporter des produits finis. Projets d’exploitation de gisement de zinc, de plomb complètent le panorama, mais la liste n’est pas exhaustive. C’est enfin la construction de la transsaharienne dite la « grande dorsale » qui reliera d’ici 2025 Alger à Lagos au Nigeria.
Plutôt que d’utiliser la manne gazière et pétrolière pour acheter la paix sociale et faire perdurer le modèle de rente, une nouvelle voie se dessine, mais il ne faudrait pas que la hausse actuelle des hydrocarbures conforte le pouvoir dans une forme d’immobilisme.
Publié le mardi 11 octobre 2022 . 4 min. 26
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