Gestion chaotique de la crise sanitaire, politique ouvertement anti-environnementale, violences sur les minorités… Sur bien des points, le bilan de Jair Bolsonaro est catastrophique. Reste le volet économique à étudier. Or, force est de constater que sur ce plan, l’honnêteté pousse à être plus nuancé.
Croissance robuste, recul de la pauvreté et inflation maîtrisée
À la fin du 2e trimestre 2022, le PIB brésilien surplombait notamment son niveau pré-crise Covid de 3%. Quant à la croissance sur l’ensemble du mandat à 4,6%, elle est supérieure de plus de 1 point à celle de l’ensemble des autres pays d’Amérique latine.
Les créations d’emplois sont aussi redevenues dynamiques et le taux de chômage reflux rapidement depuis la fin de la crise sanitaire. À moins de 9%, il est tombé en août dernier à son plus bas niveau depuis juillet 2015 et est inférieur de plus de 4 points à celui de janvier 2019, date d’entrée en fonction du nouveau président. Cela a mécaniquement une incidence sur l’évolution de la pauvreté : 5,1% de la population vit aujourd’hui avec moins de 2,15 dollars par jour, seuil international marquant l’extrême pauvreté selon les estimations de la Banque mondiale et un quart avec moins de 6,85 dollars. Des chiffres légèrement inférieurs à ceux de 2018.
Quant à la poussée inflationniste, elle reste contenue et surtout elle reflue depuis son dernier pic d’avril 2022 pour revenir à 7,2% en septembre dernier. L’inflation se rapproche ainsi du plafond de 5,25% fixé par les autorités monétaires. Ce tour de force s’apparente néanmoins en partie à un tour de passe-passe lié à la diminution temporaire des prix de l’énergie et autres prix réglementés entraînée par des réductions de taxes. Toutefois, l’inflation sous-jacente qui donne la véritable tendance de fond de l’évolution des prix à la consommation s’est également retournée, signe d’un apaisement réel des tensions inflationnistes. C’est la conséquence notamment du cycle de resserrement monétaire entamé dès mars 2021.
À cela s’ajoute la bonne résistance des actifs brésiliens : après avoir décroché cet été, le Bovespa, indice phare de la bourse de Sao-Polo, composé des 50 principales capitalisations boursières du pays, affiche un bilan positif depuis le début de l’année. De son côté, le real affiche depuis janvier l’une des meilleures performances contre le dollar en hausse de plus de 8% à la mi-octobre. C’est bien entendu plus spectaculaire vis-à-vis de l’euro, la monnaie brésilienne gagnant près de 23% sur la même période.
Les grands changements n’ont pas eu lieu
Croissance robuste, recul du chômage et de la pauvreté, inflation maîtrisée, monnaie solide, bourse en hausse, confiance retrouvée, le gouvernement qui avait annoncé en 2019 une révolution libérale, l’instauration d’une véritable économie de marché, l’ouverture à la concurrence et la fin des monopoles est-il en passe de gagner son pari ? Quelques projets ont certes avancé, votés au Congrès, comme celui de la réforme des retraites et des textes favorisant la concurrence dans le secteur du gaz naturel, du transport maritime, de l’assainissement et de la distribution d’eau. Idem, la loi sur l’autonomie de la Banque centrale a été adoptée début 2021. Mais les grands changements annoncés, ceux qui modifient structurellement les règles du jeu, n’ont pas eu lieu.
En fait, si le bilan est globalement bon et s’est récemment amélioré, c’est :
1. une affaire de circonstance liée à la flambée des cours des matières premières ;
2. une dose d’opportunisme électoral.
Il suffit de superposer deux courbes pour prendre la pleine mesure du rôle des matières premières dans l’économie brésilienne avec d’un côté les exportations et de l’autre un indice du cours des commodités. La liaison est quasi parfaite et explique l’excédent record du commerce extérieur de 2021. Agrobusiness et rente pétrolière masquent les failles structurelles du pays, celle d’une désindustrialisation rampante provoquée notamment par ses échanges croissants avec la Chine devenue 1er fournisseur du pays avec des importations multipliées par 30 en 20 ans.
Mais c’est aussi le choix politique de massivement miser sur les exportations de matières premières ou de produits très peu transformés : la filière agricole au sens large, le secteur minier, les hydrocarbures, c’est 80% des exportations brésiliennes avec au bout du chemin un brutal retour en arrière et une reprimarisation de son économie, le mouvement s’étant accéléré sous la présidence de Bolsonaro.
Plutôt donc que de valoriser les rentes issues de son sous-sol pour développer l’appareil productif, le choix a été fait d’acheter la paix sociale à coûts de chèques, ce qui soutient la consommation. De la Bolsa Familia de Lula à l’Auxilio Brasil de Bolsonaro, les ressorts sont les mêmes. Ils consistent à flécher les aides publiques vers les plus pauvres, les gouvernements étant généralement d’autant plus généreux que les élections approchent. Alors certes, les résultats sont là, mais ce n’est pas parce que la façade est jolie que les fondations sont bonnes. Que les cours mondiaux des matières premières se retournent, et le Brésil s’enfoncera à nouveau dans la crise !
Publié le mardi 25 octobre 2022 . 5 min. 09
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d'Alexandre Mirlicourtois
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