Il y a deux façons de lire la performance de l’économie espagnole du 1er trimestre : la première optimiste. Avec un PIB en hausse de 0,5%, l’Espagne se situe derrière l’Italie, mais devant toutes les autres grandes économies de la zone euro. La seconde est moins flatteuse. L’Espagne se distingue de l’ensemble des pays européens en n’étant toujours pas parvenue à restaurer son niveau d’activité d’avant Covid. Ces deux lectures donnent un diagnostic global avec comme clé de lecture la distinction entre court et long terme.
La récupération économique après le chaos sanitaire
L’Espagne, du fait notamment de sa forte spécialisation dans le tourisme, a été plus durement frappée par les conséquences de deux années de crise sanitaire et a tardé plus que les autres à récupérer. L’effet rattrapage y est donc plus puissant et décalé.
L’économie espagnole a aussi moins souffert des effets de la crise énergétique en raison de l’autorisation qui lui a été accordée de sortir des règles du marché européen de l’électricité, ce qui lui a permis de rapidement éteindre l’un des foyers inflationnistes. Les attaques contre le pouvoir d’achat y sont donc moins virulentes qu’ailleurs. En outre, aux mesures prises par le gouvernement (réduction de la TVA sur l’alimentaire, plafonnement des loyers à 2% par exemple) s’ajoutent désormais les hausses de salaire. Après déjà un sérieux coup de pouce au salaire minimum interprofessionnel en début d’année, patronat et syndicats se sont accordés sur une revalorisation salariale de 4% pour 2023 et encore de 3% pour 2024 et 2025. De quoi redonner le moral aux ménages, consolider le redressement de leur confiance et continuer d’améliorer leurs anticipations pour les 12 prochains mois. C’est un prérequis pour relancer la consommation. La hausse des ventes en volume dans le commerce de détail suggère que le mouvement se met doucement en place.
Le climat général des affaires suit la même tendance et si la majorité des chefs d’entreprise jugent que le courant d’affaire à venir sera proche du niveau jugé normal, la balance entre optimistes et pessimistes est positive pour la première fois depuis deux ans. Les créations d’emplois sont relancées, le taux de chômage recule et le solde du commerce extérieur se rapproche de l’équilibre aussi bien grâce au reflux des importations en valeur (conséquence notamment de la baisse des prix du pétrole) que du rebond des exports. Les excédents courants sont de retour et devraient continuer de croître avec l’augmentation des recettes touristiques.
L'Espagne ne s’est pas remise de la crise de 2008-2009
Toutefois, si l’économie espagnole est relancée, c’est plus une affaire de circonstances et de décalage conjoncturel que d’amélioration de ses fondamentaux. L’Espagne ne s’est pas totalement remise de la récession de 2008 et 2009 qui a dévoilé ses faiblesses.
Plus précisément, le pays a connu du milieu des années 1990 jusqu’à la grande récession une phase de stagnation, puis de recul de la productivité. Cela contrastait avec un PIB en hausse rapide. Un écart grandissant qui était la marque d’un modèle de croissance dont le principal carburant était l’endettement privé et des investissements peu productifs, principalement dans la construction de bâtiments au détriment de l’investissement dans les autres actifs matériels et immatériels plus à même d’élever la croissance potentielle.
Quant à la remontée de la productivité après 2008-2009, elle s’explique par des effets de composition. Les destructions massives d’emplois dans les secteurs moins productifs de l’économie (construction et immobilier) ont permis d’accroître fortement la productivité agrégée de l’économie. Le fait que les destructions d’emplois aient majoritairement touché les jeunes et les moins qualifiés explique également cette hausse apparente.
Ce rééquilibrage sectoriel masque de fait une réalité moins favorable. Peu avant la pandémie, selon une étude de BNP Paribas, l’Espagne enregistrait une productivité horaire inférieure à la moyenne de la zone euro dans 23 des 31 secteurs analysés pour un déficit moyen de productivité de 18%, l’écart montant à plus de 30% vis-à-vis de la France ou de l’Allemagne. Cette faiblesse, l’Espagne la doit en partie à son tissu productif composé essentiellement de petites structures familiales à très faible productivité. À l’autre bout du spectre, très peu de grandes structures.
Stimuler la productivité est donc essentiel à long terme et c’est bien pourquoi les quelques 70 milliards d’euros prévus dans le cadre du plan de soutien européen de 2021, notamment l’enveloppe pour la reprise et la résilience couvrant la période 2021 – 2026 sont indispensables au pays, au risque sinon de voir sa croissance potentielle décrocher et rendre insoutenable son endettement public. Mais c’est un processus long. Entre-temps, pour l’Espagne, c’est un sentier de lente décélération conduisant au mieux à une croissance molle à horizon 2024.
Publié le jeudi 8 juin 2023 . 4 min. 50
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