Xerfi Canal présente l'analyse d'Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision de Xerfi
L'économie espagnole a fini de manger son pain noir à en croire le gouvernement Rajoy, la banque d'Espagne, Bruxelles et les très austères agences de notation Moody's et Fitch. Sous entendu : la politique de rigueur porte ses fruits. Et effectivement, certains indicateurs montrent que le pire est passé. La hausse de 0,4% du PIB au 1er trimestre consolide ainsi le redressement entraperçu depuis cet automne. Trois trimestres de hausse consécutive, du jamais vu depuis 2007, avant la grande récession. Sur sa lancée, la croissance espagnole monterait en régime et les prévisions voisinent maintenant 1% pour 2014 et 1,5% pour 2015. Mais les signes les plus encourageants sont d'ordre financier : les taux d'intérêt pour le financement de la dette sont tombés à 3,31% en mars, un niveau inconnu depuis début 2006, bien avant la crise. Les marchés financiers sont donc au diapason. Autre bonne nouvelle : le retour fulgurant des excédents courants. Parti d'un déficit abyssal de 105 milliards en 2007, la balance courante est aujourd'hui excédentaire de 8 milliards d'euros environ, un tour de force réussi grâce à l'amélioration spectaculaire de la balance commerciale. Alors bien sûr, l'étranglement des importations, encore inférieures de 15% à leur pic, a facilité ce mouvement. Mais le retour des excédents consacre aussi le boom des exportations. Des exportations record en hausse de 23% depuis leur dernier point haut. Ce retour gagnant n'aurait pu se faire sans une compétitivité retrouvée grâce à la modération salariale et une productivité record. Mais une productivité obtenue par le bas, par une purge massive sur l'emploi. Autrement dit par un écrémage de l'offre et non par une vraie relance de l'offre. Et c'est là que le raisonnement bascule. Le retour de la croissance et des équilibres extérieurs se paie socialement au prix fort. Trois chiffres résument la situation. Les deux premiers sont sur le marché du travail. D'un côté, le nombre de chômeurs est en hausse jusqu'à dépasser le plafond des 6 millions de personnes début 2013, a diminué ensuite en tendance même si le mouvement perd de sa force en fin de période. Un mouvement de repli qui ne se voit pas dans l'évolution du taux de chômage bloqué à 26% de la population active. Pourquoi une telle divergence ? Tout simplement parce que la population active diminue encore plus vite : le nombre d'actifs au 1er trimestre est descendu à 22,9 millions de personnes, c'est près de 190 000 de moins qu'en T4 2013, une saignée d'environ 425 000 personnes sur un an. Pourquoi ce revirement ? Parce qu'en peu de temps, l'Espagne, autrefois terre d'immigration capable d'attirer les jeunes talents, est devenue une terre d'émigration contrainte de laisser partir sa jeunesse, faute de lui assurer un avenir. Et le bilan est bien là : la population espagnole diminue avec plus de 400 000 habitants de moins en 2 ans seulement. Car si l'Espagne fait un retour triomphal à l'extérieur de ses frontières, c'est au prix d'un sabordage de son offre et de sa demande interne à grand coup de purges budgétaires, de tours de vis fiscaux et d'un sous-investissement chronique. Bilan, c'est un champ de ruines et l'assiette fiscale s'est réduite comme peau de chagrin, aggravant les problèmes de déficit public et de dérive de la dette publique en route pour les 100%. Et c'est tout le paradoxe. L'Espagne a su renouer avec une profitabilité et une compétitivité forte de ses entreprises. Mais son offre est toujours malade. Tout reste à construire et la seule proposition que lui offre l'Europe est de rester dans son rôle de sous-traitant low cost pour ses partenaires.
Alexandre Mirlicourtois, Espagne : reprise sur les ruines de l'austérité, une vidéo Xerfi Canal
Publié le lundi 12 mai 2014 . 4 min. 08
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Europe / Zone euro
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