À en croire les prévisions du FMI, l’Espagne ne sera pas très loin de la première marche du podium de la croissance mondiale cette année. Avec un PIB prévu en hausse de près de 6%, elle devancerait non seulement les principales économies européennes (soit dans l’ordre le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la France et les Pays-Bas) et, c’est plus détonnant, se placerait devant la Chine et les États-Unis.
Magie des acquis de croissance
Cette performance de haute volée s’explique toutefois en partie par des raisons purement statistiques qui tiennent notamment à la magie des acquis de croissance, c’est-à-dire le niveau auquel se situerait le PIB en moyenne en 2022 par rapport à 2021, quand bien même l’activité devait stagner trimestre après trimestre. Cet effet explique à lui seul plus de la moitié du chiffre avancé en prévision et en relativise la portée.
Second aspect à prendre en compte, le point de départ. Certes, l’Espagne rebondit plus fort, mais elle a aussi creusé plus profond pendant la crise. Si bien que fin 2021, le PIB espagnol accusait encore un recul de 4% par rapport au 4e trimestre 2019, alors que la Chine, les États-Unis et la France ont dépassé leur dernier pic. Quant à l’Italie, et à un degré moindre, l’Allemagne, ils étaient en passe d’y parvenir. L’économie espagnole se redresse, mais il est encore trop tôt pour poser le diagnostic définitif d’une vraie reprise.
La normalisation du tourisme se fait attendre
Le rebond de l’Espagne risque en outre d’être freiné par l’ADN même de son système productif. Premier écueil, le redressement du secteur touristique reste entravé par les conditions sanitaires. Or, il s’agit là d’un poumon essentiel de l’économie espagnole. Vues à travers la ligne « voyage » de la balance des paiements, les recettes touristiques représentent plus de 70 milliards d’euros en période normale, c’est près de 15 milliards de plus que la France pourtant en deuxième position. Rapportées au PIB pour gommer l’effet taille des économies, seuls des pays monospécialisés comme la Croatie et Chypre sont devant la péninsule ibérique. Or, la situation y est très loin d’être normalisée. Il a manqué près de 55 millions de touristes sur la saison 2021, soit un trou d’environ 30 milliards d’euros sur les 9 premiers mois de l’année par rapport aux standards des années pré-Covid et le rebond par rapport à 2020 est très limité. Avec la déferlante Omicron, 2022 a mal commencé et le risque est bien celui d’un 3e été perturbé, d’autant plus que l’image de tourisme de masse de la destination « Espagne » est un handicap, pour le moins à court terme. Certaines régions très touristiques comme les Baléares ou les Iles Canaries ont décroché, entraînant un accroissement des inégalités régionales, ce qui fragilise un peu plus l’unité du pays.
Moins de pouvoir d’achat et des bas de laine moins remplis
Autre point d’achoppement, l’Espagne est plus un pays de filiales que de grands groupes nationaux. L’automobile est emblématique. Avec près de 3 millions de véhicules sortis de ses chaînes de production en 2019, l’Espagne se situe en deuxième position européenne derrière l’Allemagne et devant la France. Le pays tire 11% de son PIB et 9% de ses emplois de l’industrie automobile, selon l'Anfac (l’association des constructeurs en Espagne). Le problème est que les sites de production espagnols dépendent totalement de décisions extérieures prises par de grands groupes étrangers (Volkswagen, Ford, Renault, PSA, etc.). Les usines espagnoles restent ainsi en périphérie des stratégies d’innovation et ne produisent pour l’instant que peu de modèles hybrides ou électriques. Certes, il y a dans le décrochage actuel de la production espagnole les conséquences des ruptures d’approvisionnement, mais pas seulement. Ce même schéma se reproduit ailleurs dans d’autres filières.
Un autre obstacle se dessine également, celui de la faiblesse du revenu des ménages. Malgré la mise en œuvre de mesures de soutien, les digues ont moins tenu qu’ailleurs en raison de marges de manœuvre budgétaires plus limitées et d’un emploi intérimaire extrêmement instable. Ainsi, parmi les 7 économies majeures de la zone euro, c’est la seule dont le revenu des ménages en euros courants demeure inférieur à celui d’avant-crise. Et comme l’Espagne ne se distingue pas par un niveau d’inflation plus faible que ces voisins, le pouvoir d’achat des ménages est attaqué plus qu’ailleurs. Avec à la clé, la constitution d’un matelas d’épargne, la fameuse cagnotte Covid, moindre qu’ailleurs durant les phases de confinement. Sur 4 trimestres glissants, l’effort des Espagnols atteint un pic à 10,5% de leur revenu. C’est comparable aux Italiens, mais plus 2 points en dessous des Français et de 4 aux Allemands. Moins de pouvoir d’achat, bas de laine moins remplis, la consommation espagnole est à plus de 7% de son niveau d’avant Covid et sa remontée s’annonce bien plus laborieuse que dans le reste de la zone euro.
La performance de croissance espagnole sera bonne en 2022. Mais cette remontada apparente relève d’effets purement mécaniques, sans que cela ne présage d’une vraie consolidation des moteurs de long terme de la croissance.
Publié le jeudi 03 février 2022 . 4 min. 24
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