Le haut de gamme seule planche de salut pour l’industrie française. Un mantra répété en boucle, depuis l’entrée fracassante de la Chine et des pays à bas coût dans l’OMC. Un modèle de « premiumisation » aujourd’hui mis en échec dès lors que l’on utilise des indicateurs robustes pour décrire la situation : la production manufacturière est toujours en retrait par rapport à son niveau prépandémie et plus encore vis-à-vis de son pic historique de 2008. En termes relatifs, le poids de l’industrie dans le PIB reste inférieur à celui de 2020 et la tendance à la baisse a connu peu de répit depuis 2001.
L’évolution de l’emploi industriel pourrait nuancer l’analyse avec un nombre d’actifs à nouveau en hausse depuis 2019. Toutefois en termes relatifs, c’est-à-dire par rapport à l’emploi total, la tendance s’avère moins favorable mais plus fâcheux, l’amélioration est due au seul recul de la productivité du travail. Quant au commerce extérieur, le déficit se dégrade continuellement que ce soit en termes réels ou relatifs : en 4 ans, il a été multiplié par deux. L’incapacité de l’Hexagone à regagner le terrain perdu interroge.
Déboires de la filière bio
Et si la réindustrialisation de la France devait passer par la reconquête de la grande série, des produits du quotidien ? Trois coups de projecteurs pour éviter de balayer d’un revers de la main cette possibilité.
Dans l’alimentaire, il y a d’abord les déboires de la filière bio et même au-delà, de la labellisation. Un cas parmi tant : les ventes en volume de volailles sous Label Rouge ont plongé de 18%, et celles des produits AB de 7,8% en 2022 et les premières informations portant sur 2023 prolongent ces tendances. En face, les importations n’ont jamais autant couvert la consommation nationale : un quart au début des années 2000, plus de la moitié aujourd’hui. L’année 2016 marque aussi un tournant pour la balance commerciale de la volaille : historiquement excédentaire, elle devient déficitaire et le restera. Les exploitants ont raison d'avoir peur du poulet étranger polonais ou ukrainien. La France en importe aujourd’hui quatre fois plus qu'il y a vingt ans.
Des secteurs clés français concurrencés
Autre éclairage, les grands secteurs industriels français qui brillent à l’international, comme les vins et spiritueux, le champagne, l'aéronautique, le naval et les parfums cosmétiques, sont tous dans le haut de gamme… et se font pour autant de plus en plus concurrencer. Il faut éviter de jeter un regard condescendant sur la progression du niveau de production des pays émergents et de leurs succès dans des filières majeures : l’aéronautique. En moins de quinze ans, la Chine a mis sur pied une filière aéronautique civile presque complète. Le Brésil dispose déjà de la sienne organisée autour d’Embraer. Dans le spatial, l’empire du Milieu se pose comme un rival de la Nasa et d’Ariane. Dans le naval, la Chine est partie à l’assaut de la construction de paquebots, l’un des derniers prés carrés de l’industrie européenne et française. La filière nucléaire chinoise se développe, celle de l’Inde aussi notamment en coopération avec la Russie.
Priorité à l’automatisation et la robotisation plutôt qu’ à la montée en gamme
Le luxe n’est pas épargné non plus. La haute couture indienne est partie à la conquête du monde et se développe rapidement avec l’appui financier de grands conglomérats nationaux. Enfin, certains succès du « made in France » devraient interpeller. La Yaris Cross SUV compact est la voiture la plus produite sur le territoire et a obtenu la certification « Origine France Garantie » en 2023… alors que la DS9 est fabriquée en Chine. 80% des produits d’écriture (stylos, crayons, feutres) vendus sur le marché français sont fabriqués dans une des 6 usines du groupe BIC, des produits d’entrée de gamme.
Ce n’est pas le niveau de gamme du produit final qui explique ces réussites mais l’excellence des process de production qui rime souvent avec automatisation et robotisation. Or c’est là que le bât blesse. L’industrie française est sous-équipée, surpassée par l’Allemagne mais aussi par des pays comme la Slovénie ou la Tchéquie. Tout miser sur le seul haut de gamme est une impasse. C’est un marché de niche, les volumes sont trop réduits pour entraîner l’ensemble du tissu productif. Il ne permettra jamais de ramener nos comptes extérieurs à l’équilibre. Il faut revenir aux productions de masse mais cela exige un effort de conception, d’optimisation des processus de production, d’automatisation, de logistique, de marketing, ce qui est l’inverse de la facilité. Il faut le rappeler. Aucun palace n’est aussi rentable qu’un hôtel Ibis, alors que les grands chefs ouvrent des brasseries ou labellisent des surgelés pour financer leurs prestigieux restaurants déficitaires.
Publié le jeudi 8 février 2024 . 4 min. 34
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