La crise énergétique en Europe, les difficultés de la Chine auraient dû logiquement sonner le glas du modèle économique allemand. Pourtant, rien n’est moins sûr, car le gouvernement s’arc-boute pour le conserver en lui collant des rustines, le temps que la tempête passe. Ce « business model », purement mercantiliste tourné vers le grand large, guide la politique économique outre-Rhin depuis près d’un quart de siècle. Le but : renforcer la base industrielle du pays afin de dégager des excédents extérieurs. Mais il faut bien comprendre que ce n’est qu’un moyen. Dans un pays vieillissant, où la population en âge de travailler (par convention les 15-64 ans) est déjà en recul et est appelée à très rapidement se contracter ces prochaines années, le ratio de dépendance des personnes âgées va s’envoler. Ce qui rend le problème du financement des retraites explosif.
Le modèle allemand vacille
C’est une évidence, l’objectif de la politique économique allemande n’est pas tant de générer de la croissance – si la population augmente moins vite, une croissance forte n’est pas indispensable, car par tête elle augmente grâce au recul de la population —, mais bien plus de financer les pensions en accumulant un maximum d’actifs nets (internes et externes). Donc en étant très performante. Et, pour être très performante, quatre principaux leviers ont été actionnés :
1. C’est la mise en place d’une économie de bazar pour siphonner les bas coûts et la productivité des PECO.
2. C’est aussi la pression mise sur les coûts des services, incorporés massivement dans la chaîne de valeur des produits finis.
3. Mais c’est aussi une politique énergétique agressive avec l’abandon du nucléaire pour bénéficier des tarifs les plus bas possibles via les importations massives de gaz en provenance de Russie.
4. C’est pour finir, se déployer vers le grand large, la Chine plus particulièrement.
Peu importe que cette stratégie conduise à accélérer la désindustrialisation des autres pays de la zone euro et à comprimer leurs demandes intérieures : les débouchés se situent ailleurs. Attaqué sur deux de ces quatre points névralgiques, le modèle allemand vacille.
Empêtrée dans sa politique zéro Covid et des problèmes structurels, la Chine cale et les exportations allemandes en direction de l’Empire du Milieu plafonnent depuis plusieurs mois alors que dans le même temps la facture des importations d’hydrocarbures flambe et s’approche des 125 milliards d’euros sur un an.
Conséquences de ces évolutions, les excédents commerciaux ont été divisés par 3 depuis leurs sommets et sont à un plancher depuis plus de 20 ans. Le solde courant suit la même trajectoire. À 3,3% du PIB, il est retombé à son plus bas niveau depuis 2003.
Bazooka budgétaire
C’est évidemment inacceptable pour le pays. C’est bien pourquoi le gouvernement a dégainé le bazooka en annonçant en octobre dernier un plan à 200 milliards d’euros portant l’effort budgétaire allemand à 300 milliards d’euros depuis le début du conflit en Ukraine, l’équivalent de 8% de son PIB en deux ans. Alors que 25 000 entreprises, plus grosses consommatrices de gaz, bénéficiaient déjà de mesures d’aide, 25 milliards sont prévus pour dédommager les entreprises industrielles jusqu’alors exclues des aides publiques. Cette enveloppe va servir à subventionner 70% de leur consommation de gaz, qui sera plafonnée à 7 centimes du kWh, soit le prix d’octobre 2021, c’est-à-dire bien avant le conflit entre la Russie et l’Ukraine, le reste étant payé au prix du marché.
Et peu importe que cela entraîne des distorsions de concurrence gigantesques avec les industriels des autres pays membres de la zone euro et que les économies des différents États membres divergent encore plus qu’elles ne le font aujourd’hui. Il faut absolument préserver la force de frappe industrielle du pays. Le déplacement du chancelier Scholz et d’une douzaine de patrons allemands en Chine début novembre dernier est également riche d’enseignements dès lors qu’il est mis en parallèle aux 10 milliards d’euros investis par les groupes allemands au 1er semestre 2022 dans l’économie chinoise, un record.
Longtemps les indicateurs allemands n’ont connu qu’une couleur, le vert. Aujourd’hui, c’est le rouge qui domine, plaçant le pays dans une véritable impasse et le mettant face au défi de reformater son modèle. Force est de constater qu’il s’y refuse obstinément jusqu’à maintenant.
Publié le mardi 15 novembre 2022 . 4 min. 19
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