Il y a peu d’années encore, l’Amérique du Sud nageait dans l’optimisme. Croissance forte, à peine écornée par la crise financière de 2008-2009, progrès social, réduction des inégalités, émergence d’une classe moyenne. Une véritable success story pour reprendre les termes du FMI de l’époque. Une success story qui a depuis viré au cauchemar. Il y a d’abord le cas épineux du Venezuela qui s’enfonce dans la pauvreté. Après trois ans sans aucune publication, la banque centrale s’est enfin décidée à sortir des chiffres et ils sont catastrophiques : en à peine cinq ans le PIB a quasiment été divisé par deux et a sombré à son plus bas niveau depuis 1997, date du début de la série. De son côté, l’inflation atteint de tels niveaux stratosphériques, 130 000% environ l’année dernière et même beaucoup plus selon le FMI, qu’elle n’a plus de sens, si ce n’est que la monnaie ne vaut plus rien.
Crise migratoire
Cette crise économique sans précédent se double d’une crise migratoire avec le départ de plus de 2 millions de Vénézuéliens entre 2015 et 2018 et certainement plus de 5 selon l’ONU d’ici la fin 2019, l’équivalent de 15% de la population du pays, ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes aux pays hôtes comme le Pérou ou la Colombie. La crise vénézuélienne se passant sur fond de régime autoritaire chaviste et de sanctions américaines, elle reste un cas à part. Mais elle est aussi emblématique de la région, symptomatique de son ultra-dépendance à l’évolution du cours des matières premières, car c’est bien l’effondrement de la demande mondiale pétrole et celui des cours qui ont précipité l’économie vénézuélienne dans l’abime. Il suffit de superposer l’évolution du PIB de la région et la variation des cours des matières premières pour mesurer leur forte imbrication. La part des exportations de produits primaires (pétrole, produits miniers et agricoles) dans le total des exportations des 5 plus grandes économies de la région en donne une autre illustration : elle s’élève à 85% pour le Chili (dont la moitié uniquement pour le seul cuivre), 73% pour la Colombie et reste supérieure à 60% pour le Brésil. Des chiffres à comparer aux 19% français.
En cas de retournement des marchés tout bascule. Les recettes sur lesquelles sont généralement assis les programmes sociaux s’évaporent. Et le coup est d’autant plus rude que ces pays n’ont pas profité des années de vaches grasses pour diversifier leurs activités ou pour se constituer des fonds souverains susceptibles de lisser les à-coups. Au contraire, les symptômes de la maladie hollandaise sont flagrants avec à la clé une primarisation des économies. Les revenus extérieurs tirés des matières premières sont donc de plus en plus essentiels dans l’équilibre des comptes extérieurs et publics. Le solde courant régional, encore excédentaire jusqu’en 2007, a viré au rouge depuis pour plonger. Piocher dans les réserves pour financer ses dépenses ne peut être qu’une solution transitoire. Et, compte tenu de la volatilité des capitaux étrangers, une crise de financement est bien souvent au bout du chemin. Il suffit d’une étincelle pour que la défiance s’installe.
Le cas de l’Argentine
En Argentine, le lourd échec électoral du président Mauricio Macri et le spectre de l’élection d’un président péroniste a entrainé un phénoménal krach monétaire et financier. Le peso a cédé 22% de sa valeur face au dollar en quelques jours seulement et ne parvient pas à remonter la pente. Bilan, depuis le début de l’année la monnaie argentine a dévissé de 33% face au billet vert. Quant à la bourse, l’équivalent du CAC 40, l’indice Merval, s’est effondré de 32%. Tout cela ne va pas arranger la situation d’une économie entrée en récession l’an dernier. Le remboursement de la dette et de ses intérêts dépendra beaucoup des négociations du futur gouvernement et de l'attitude du FMI. Ce qui est sûr, c'est que 2020 va être une année très difficile économiquement et socialement. L’adoption par les députés le 13 septembre dernier, à l’unanimité, d’une proposition de loi d’urgence alimentaire en dit lit long sur la déliquescence de l’économie argentine.
Le Brésil, première économie de la région, avec plus de 50% du PIB d’Amérique du Sud, est proche aussi de la rupture financière et sociale. Confrontée à une conjoncture délicate depuis plusieurs années, l’économie brésilienne ne parvient pas à réellement se relancer après deux années de forte récession en 2015 et 2016. La remontée est partielle et s’effectue sur un champ de ruine, avec une classe moyenne dévastée. Brésil + Argentine + Venezuela, c’est 70% du PIB régional, autant dire que s’ils chutent, les autres aussi, faisant de l’Amérique du Sud une véritable poudrière.
Publié le jeudi 19 septembre 2019 . 5 min. 04
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d'Alexandre Mirlicourtois
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