Voici ce qui alimente la colère en Turquie : l’hyperinflation. La hausse des prix à la consommation a officiellement atteint 83,5% en septembre dernier, beaucoup plus selon un groupe d’économistes indépendant pour qui elle serait plus proche de 186%. Quoiqu’il en soit, la flambée des tarifs de l’énergie (jusqu’à 145% pour le gaz) et de l’alimentaire (avec des hausses proches de 100%, voire plus pour des produits emblématiques comme le pain, l’huile, la volaille) est très douloureuse pour les classes populaires.
Obstination des autorités monétaires
Quant à la revalorisation de 40% du salaire minimum attendu pour janvier, elle ne suffira pas à absorber ce choc. De quoi alimenter les frustrations et saper le moral des ménages qui après être tombé à son plus bas historique en juin dernier peine à remonter. Or, ce sont les conséquences de l’hyperinflation au début des années 2000 sur le budget des ménages qui avait porté Erdogan au pouvoir. Quant à leur avenir immédiat, les ménages demeurent inquiets sur l’évolution de leur finance dans les 12 prochains mois et jugent le contexte pas opportun à réaliser des achats importants.
Comme partout dans le monde, l’inflation tient pour partie à la flambée des cours de matières premières, notamment celles liées à l’énergie, contre laquelle le gouvernement n’a pas de prise. Sa production ne couvrant que 7% de ses besoins, la Turquie est notamment un grand importateur de pétrole ce qui la rend particulièrement perméable à l’évolution des cours de l’or noir. Idem pour le gaz naturel. La production du pays représente 1% environ de la consommation nationale. Pas d’autre choix donc que d’avoir massivement recours aux importations dont 56% sont en provenance de la Russie. Autant dire que depuis 2021, le pays est sérieusement handicapé.
Mais il y a un quand même un élément spécifique à la Turquie qui rend explosive la hausse des prix : l’obstination des autorités monétaires, sous la houlette du président Erdogan, à maintenir les taux d’intérêt à bas niveau, à rebours des politiques menées par les principales grandes banques centrales. Et pour cause, le modèle de croissance de l’économie turque repose d’une part sur la consommation intérieure alimentée par une distribution de crédits bancaires dynamique et, d’autre part, sur le secteur de la construction. Un crédit bon marché, cela a été très efficace pour soutenir la consommation et l’investissement et permis au pays d’afficher 11,6% de croissance en 2021 et d’espérer encore une hausse du PIB de 5% cette année et encore de 3% en 2023 selon le FMI. Mais cela gonfle ipso facto la masse monétaire qui nourrit l’augmentation des prix.
Une économie vulnérable à la volatilité des investisseurs internationaux
Cela se paie cash aussi sur le marché des changes, dégradant la rémunération des placements turcs et poussant les investisseurs à bannir la livre qui s’est effondrée de 68% face au billet vert depuis janvier 2020. Ménages et entreprises fuient également : plus de la moitié des dépôts sont ainsi en devises. L’annonce en décembre 2021 par le gouvernement d’un nouveau mécanisme financier basé sur la protection des dépôts en monnaie locale contre la dépréciation de la livre turque n’a visiblement pas eu l’effet escompté.
Alors, certes la faiblesse de la livre a l’avantage de rendre plus compétitifs les produits turcs, mais cela rend aussi beaucoup plus chères les importations, notamment les produits intermédiaires que les industriels transforment, l’économie turque étant insérée dans les chaînes de valeur internationales. La géographie de ses exportations lui est en outre, actuellement préjudiciable, et le restera dans les prochains mois : que ce soit l’économie allemande (première zone de destination des produits turcs), mais aussi britannique, italienne ou américaine, toutes sont au bord du précipice et peu échapperont à la récession en 2023.
Négatif, le solde du commerce extérieur s’enfonce dans le rouge et le solde courant ne s’améliore pas, minant la capacité du pays à accumuler des devises. Déficit courant, beaucoup de dettes extérieures, la croissance turque repose donc avant tout sur l’afflux de capitaux extérieurs, notamment des investissements directs : or, ils ont tendance à se tarir depuis leur pic de 2006 et ne sont pas suffisants pour couvrir le déficit courant, rendant l’économie vulnérable à la volatilité des investisseurs internationaux. C’est de la hot money, ces capitaux très instables à l’affût des meilleurs rendements.
Une croissance tirée par le crédit, c’était le plus court chemin pour obtenir des résultats, mais le système arrive en bout de course alors que se profilent les élections de l’été 2023. C’est bien pour cela que l’homme fort d’Ankara fait feu de tout bois pour faire valoir la place de la Turquie dans les relations internationales. Un message fort envoyé vers l’extérieur, mais destiné aussi à l’intérieur. L’objectif : jouer sur le sentiment nationaliste pour calmer la grogne sociale.
Publié le jeudi 20 octobre 2022 . 4 min. 36
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