Le risque est clairement en train de basculer du côté des émergents. On le voit avec la crise en Turquie, en Argentine. Mais ça tangue également sérieusement au Brésil, en Afrique du Sud, ou en Indonésie et la liste n’est pas exhaustive. Du coup de nombreux indices actions et monnaie du monde émergent ont basculé dans le rouge. L’indice MSCI Emerging Markets, un indicateur boursier mesurant les performances des places financières de 24 pays émergents, a ainsi perdu 12% de sa valeur depuis le début de l’année et même 20% par rapport à son dernier point haut de la fin janvier. L’inquiétude monte et maintenant c’est le risque de contagion de ces turbulences au reste du monde qui pointe.
De la crise de change à la crise économique
Pour déterminer le degré d’exposition de l’économie mondial au risque émergent, il faut d’abord clairement définir de quelle nature est ce risque, qui est exposé avant d’explorer les canaux de transmission. Les pays actuellement en difficulté souffrent tous d’une insuffisance d’épargne, qui conduit à un déficit courant chronique financé par des capitaux étrangers. Longtemps ces économies ont profité de la « quête de rendement ». Quand les taux sont proches de zéro, les investisseurs se ruent vers ces régions aux actifs plus risqués donc plus rémunérateurs. Mais les Etats-Unis ont sifflé la fin de partie et se sont engagés dans un cycle de durcissement monétaire. Autrement dit le marché américain devient de plus en plus attractif, d’autant plus qu’est venu se greffer dans certains de ces pays, comme la Turquie ou le Brésil, un risque politique, facteur de méfiance supplémentaire. En conséquence, les financements externes se sont asséchés déclenchant une crise de change. Il en résulte une dépréciation de la monnaie, la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt. La croissance se dérobe ce qui aggrave la sortie des capitaux et le cercle vicieux se referme.
Et l’incendie est difficile à éteindre. Malgré un prêt de 50 milliards de dollars accordés cet été à l’Argentine par FMI, le peso a poursuivi sa chute, contraignant la Banque centrale argentine à monter ses taux d’intérêt à 60% fin août sans plus de succès. Le bilan c’est une monnaie dont la valeur a été divisée par plus de 2 depuis le début de l’année face au dollar.
Déplacement de la croissance mondiale
Il faut impérativement scinder en deux groupes les principaux pays émergents pour mesurer l’étendue du risque avec d’un côté les pays en excédents courants et de l’autre les pays déficitaires. Dans la zone à risque élevé se retrouvent la Turquie, l’Argentine, l’Afrique du Sud, le Mexique, l’Indonésie, le Brésil et l’Inde mais pas la Chine, ni la Russie et encore moins la Thaïlande.
Premier constat, la Chine seul pays émergent qui représente un risque systémique ne fait pas partie de la liste. Second constat, excepté en Amérique Latine, les pays risqués sont géographiquement éparpillés ils ne font donc pas masse avec une risque de contamination aux pays frontaliers, même en bonne santé. En d’autres termes, ni l’Inde ni l’Afrique du Sud seules n’ont la capacité d’entrainer dans leur chute les économies voisines. Le ralentissement voire la perte de croissance d’une partie des émergents va bien entendu avoir des répercussions sur les autres économies émergentes par le biais du commerce mondial. Toutefois, malgré le renforcement de leurs liens commerciaux, l’impact sera contenu.
Quant aux pays avancés, la situation ne leur est pas défavorable. Profitant de l’afflux des capitaux ils se financent à bon compte (les taux vont rester bas) et siphonnent donc en partie la croissance des émergents. C’est donc à un déplacement de la croissance mondiale que la situation actuelle conduit. Ce n’est pas la première fois. De 1998 à 1999, au pire de la crise asiatique, la croissance a été en moyenne de 4,6% aux Etats-Unis, de 3,4% en France et de 2,8% dans la zone euro. Ce scénario peut se reproduire mais il y a un aléa de taille. La Chine, ou plutôt la montée des tensions entre Washington et Pékin. Car si la Chine flanche le frein sur la croissance mondiale se compliquera d’un vrai risque systémique.
Publié le jeudi 20 septembre 2018 . 3 min. 58
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