Dans un contexte de tensions géopolitiques, au moment même où des sanctions européennes sont à l’étude dans l’affaire « Navalny », le vaccin Spoutnik V est là pour rappeler que la Russie reste à la pointe dans certains domaines. Une victoire pour Moscou qui trouve là un potentiel produit d’exportation, notamment vers l’Europe, mais également un élément de soft power. Un facteur favorable de plus pour ce pays pour qui les dégâts de la crise de la Covid-19 apparaissent somme toute relativement contenu par rapport au précédent épisode de crise mondiale, en 2009, année durant laquelle le PIB de la Russie avait reculé de 7,8%. Mais aussi par rapport aux autres grands pays émergents : seule la Chine a fait mieux en 2020 avec une croissance de 2,3%. Le Brésil se situe un cran en dessous (avec une baisse proche de 5% selon notre scénario). Sans parler de l’Inde qui a totalement décroché (-9%). La comparaison est aussi flatteuse vis-à-vis de l’Europe, notamment la zone euro qui a dévissé de près de 7%.
Une économie hyperconcentrée
Cette résistance a de quoi surprendre. L’économie russe se caractérise en effet par une hyperconcentration de la structure productive sur l’exploitation et l’exportation de quelques ressources, notamment le pétrole. Comme le montrent les évolutions annuelles du PIB en valeur et du cours du Brent, le lien est très fort entre la croissance du pays et le prix du pétrole. Les données du commerce extérieur sont aussi édifiantes : le pétrole brut (24,5%), les produits du raffinage (15,2%) et le gaz naturel (14,6%) concentrent à eux trois plus de 54% des exportations russes. Or, entre la mise en place des quotas de production dans le cadre de l’OPEP + et l’effondrement des cours au printemps 2020 (ce qui a conduit à un effondrement des prix de 34% en moyenne sur l’année), les recettes pétrolières ont flanché. Et conjugué à l’impact de la crise de la Covid-19, l’économie russe était vouée à aller droit dans le mur.
Les facteurs de résistance de l’économie russe
Trois facteurs sont venus éviter ce qui semblait inéluctable. Premier élément à prendre en compte l’arbitrage santé/économie. Si la pandémie a frappé la Russie avec un décalage d’environ un mois par rapport aux pays d’Europe occidentale, la levée progressive des mesures de restrictions sanitaires est intervenue plus rapidement et les restrictions ont été beaucoup plus légères par la suite qu’en Europe par exemple. La Russie a fait clairement le choix de l’économie.
Deuxième facteur d’amortissement, les caractéristiques de structure productive du pays. À la différence des économies avancées et même des principaux pays émergents, l’économie russe se distingue par un poids relativement faible des services, le secteur le plus mis à mal par la crise de la Covid-19. Les services représentent ainsi moins de 63% du PIB russe, contre 70% au Brésil et plus encore en Inde où à 80% le poids des services est écrasant. À 74%, la zone euro se situe plus de 10 points au-dessus.
L’État russe, un acteur économique incontournable
Autre caractéristique du système productif, l’emprise de l’État sur l’économie. Cela se matérialise notamment par une part importante de l’emploi public dans la population active (30% d’employés d’État), c’est un facteur stabilisant en temps de crise. À cela s’ajoute le rôle des grands conglomérats dont la puissance financière leur a de plus permis de tenir le choc. Ces derniers ont notamment bénéficié d’autorisations de maintien de l’activité, évitant ainsi au pays un décrochage productif trop violent. Et enfin, peu dépendante des recettes touristiques, l’économie russe a moins souffert que nombreux pays. Surtout, restrictions aux frontières obligent, les touristes russes ont réorienté leurs voyages à l’intérieur du pays. Troisième facteur clé de la résistance de l’économie russe, le gouvernement disposait d’une importante marge de manœuvre budgétaire pour contenir les effets de la crise.
Avant la pandémie, grâce notamment à sa rente énergétique, la Russie bénéficiait de finances publiques solides : excédents budgétaires sur les deux exercices précédents et déficits réduits avant excepté en 2009, année de crise ; avec à la clé un taux d’endettement très bas, en dessous de 15% du PIB. Cela a permis d’engager un plan de soutien budgétaire (7% du PIB environ) qui un peu comme partout vise à soutenir le pouvoir d’achat des ménages et à aider les entreprises à passer le cap. À tout cela, on pourrait ajouter un dernier facteur de stabilité, les réserves de change qui à 450 milliards de dollars couvrent près de 17 mois d’importations.
La gestion de la crise de la Covid-19 a été une petite victoire pour la Russie, notamment vis-à-vis de l’Europe, mais, au-delà, elle a toujours d’immenses défis à lever : diversifier, moderniser une économie qui s’est engouffrée dans la valorisation de ses ressources naturelles au détriment des autres secteurs avec un secteur public hypertrophié, agir contre la baisse de la main-d’œuvre, lutter contre l’économie informelle, etc. qui limitent le potentiel de croissance de l’économie russe à 2%, l’un des plus faibles des pays émergents.
Publié le mardi 9 février 2021 . 4 min. 40
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d'Alexandre Mirlicourtois
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