L’onde de choc de la guerre en Ukraine a considérablement assombri l'horizon économique et rend caduques les très bonnes perspectives pour l’emploi prévues cette année. Le conflit ukrainien entretient et attise, en effet, le choc sur les prix de l’énergie et des matières premières. D’un point de vue qualitatif on sait ce que cela produit :
- Côté entreprises, dans l’incapacité de répercuter intégralement la hausse des coûts sur leurs prix, c’est une dégradation des marges. Des marges pourtant absolument nécessaires pour investir et embaucher.
- Côté ménages, dont les salaires sont incomplètement indexés sur l’inflation, c’est une dégradation du pouvoir d’achat. Un coup sur la consommation, donc sur les débouchés des entreprises, donc sur l’investissement…
Bref, au bout du chemin c’est un décrochage de la croissance.
Ce schéma ne serait pas complet sans ajouter les conséquences de la remontée des taux d’intérêt, de la chute des bourses, de la mise sous cloche en Chine d’agglomérations névralgiques, aggravant les problèmes d’approvisionnement, du climat d’incertitudes. Et comme tous les pays avancés sont soumis aux mêmes contraintes, s’ajoute l’asséchement des débouchés extérieurs.
L’environnement n’est clairement pas favorable aux embauches. D’autant que, 4 signaux faibles peuvent mettre en alerte sur une possible inflexion de la dynamique du marché du travail.
- Il y a d’abord le rythme d’évolution des créations nettes d’emplois salariés pratiquement divisé par deux entre la fin 2021 et le début 2022. En outre, le diable se cache dans les détails. Parmi les grandes branches d’activité, ce sont les entreprises du privé des services principalement non-marchands qui progressent et contribuent le plus à l’évolution d’ensemble. Or, il s’agit essentiellement de la santé, de l’enseignement (hors éducation nationale), des services d’hébergement médicalisés ou non comme les Ehpad autant de professions largement décorrélées de la conjoncture. Sans ces secteurs les créations d’emplois nettes seraient tombées à 36 300 soit une division par plus de 3 par rapport à leur progression du 4ème trimestre 2021.
- Deuxième alarme, l’évolution de l’intérim. Cet indicateur avancé du marché du travail s’est retourné depuis 2 mois, en recul de 3,5% depuis son dernier pic de janvier 2022. Moins d’emplois intérimaires avec de surcroît des missions plus courtes depuis février dernier.
- Troisième élément, la baisse des déclarations d’embauches. Après avoir atteint un pic fin 2021, elles ont été en retrait sur les trois premiers mois de l’année. Certes, le niveau reste élevé, mais la tendance s’est inversée et tous les types de contrats sont concernés même si ce sont les CDD de moins d’un mois les plus impactés en liaison avec le trou d’air de l’activité au 1er trimestre, trou d’air qui se prolonge depuis. Cette diminution des embauches se concentre en outre dans les entreprises de moins de 20 salariés, les plus réactives et flexibles face aux chocs conjoncturels. Après avoir plafonné fin 2021, le recul atteint près de 9% sur les 3 premiers mois de l’année. A l’opposé, les embauches dans les entreprises de plus grande taille ont continué de progresser mais à une cadence plus faible qu’au trimestre précédent.
- Dernier indicateur qui ne va pas dans le bon sens, celui du nombre de procédures collectives du secteur privé nettement reparti à la hausse. Après avoir touché un point bas à l’été 2021, les liquidations judiciaires ont bondi de 42% en six mois. L’accélération est moins franche du côté des redressements judiciaires comme des procédures de sauvegardes mais les volumétries sont plus faibles.
Selon certaines estimations, plus de 30 000 emplois seraient menacés. Bien sûr, il ne faut pas trop noircir le tableau, les entreprises n’ont pas encore massivement basculé sur des stratégies de rationalisation, de compressions des coûts, de downsizing, de réduction de la masse salariale, etc. Mais une chose est sûre, elles se sont mises en position d’attente et cela commencera par un gel des embauches.
L’Association pour l’emploi des cadres a déjà révisé ses prévisions de recrutements de cadres pour cette année passées de 289 300 en janvier à 282 000 en mars, soit 7 300 embauches de moins de prévues. Certes en niveau, cela reste encore supérieur de 5% à 2021, mais plus le conflit s’enlisera plus les perspectives s’assombriront et les jeunes diplômés risquent de voir se refermer les portes du marché du travail. Avec le « quoi qu’il en coûte », le lien entre croissance économique et emploi s’est défait, il se reconstruit et il s’agit pour le moins d’un brutal retour à la réalité.
Publié le mardi 17 mai 2022 . 4 min. 29
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