C’est un discours entendu, « arrêtez de culpabiliser les Français avec le changement climatique car ils n’y peuvent rien en émettant moins de 1% des gaz à effet de serre au monde ».
C’est pourtant contestable. Emissions de CO2 de quoi s’agit-il exactement ? C’est une mesure des émissions de 6 gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane mais aussi protoxyde d’azote et de trois gaz fluorés) liées à l’activité humaine et encadrées par le protocole de Kyoto. La mesure de ces émissions s’effectue à travers un indicateur synthétique issue d’une péréquation, qui intègre à la fois le pouvoir de réchauffement de ces gaz et leur durée de vie dans l’atmosphère. Cet indicateur regroupe sous une seule valeur, exprimée en « équivalent CO2 », l'effet cumulé de tous ces polluants qui contribuent à l'accroissement de l'effet de serre. Quant aux calculs des émissions à proprement parler, il n’existe pas de mesure directe, elles sont donc estimées et comportent par construction une part d’incertitudes. La répartition géographique des émissions mondiales s’établit ensuite selon deux approches.
La première dite des inventaires nationaux. Elle répertorie les émissions qui ont physiquement lieu sur les territoires. C’est celle retenue dans les engagements internationaux des Etats. Selon cette approche alors « Oui » la France émet moins de 1% des gaz à effet de serre et se place en 24ème position des pays les plus pollueurs très loin de la tête du classement écrasé par la Chine, les Etats-Unis et l’Inde qui à eux trois contribuent actuellement à plus de la moitié des émissions. Le poids de la France dans le bilan mondial ne cesse en outre de s’alléger, quasiment divisé par 2,5 depuis le début des années 90. Une réduction en termes relatifs mais aussi en termes absolues de l’ordre de 25% sur la même période. De son côté, la réduction aux Etats-Unis est symbolique (moins de 1%) alors que c’est l’explosion en Chine et en Inde, premiers contributeurs à l’augmentation des gaz à effet de serre dans le monde, c’est une évidence.
Cette présentation indiscutable des faits est cependant fallacieuse pour au moins trois raisons. Il faut d’abord intégrer le fait que les gaz à effet de serre restent dans l’atmosphère pendant des décennies ce qui veut dire que le CO2 à l’origine du changement climatique aujourd’hui est le résultat des émissions de gaz à effet de serre des deux cents dernières années environ. Selon les données de Carbon Brief, les Etats-Unis représentent à eux seuls 20,3% des émissions territoriales depuis 1850, ce qui les placent loin devant la Chine et la Russie. Le Brésil et l’Indonésie sont également en bonne position car outres les émissions dues à la combustion des énergies fossiles, les données intègrent aussi celles liées au changement d’utilisation des terres et des forêts, qui détruisent des réservoirs de dioxyde de carbone. La France avec 1,4% intégrèrent de son côté le top 12 en compagnie d’autres pays européens comme l’Allemagne et le Royaume-Uni qui la précèdent. Autre défaut des chiffres généralement présentés, ce sont les pays les plus peuplés qui apparaissent en haut du classement, il est donc plus juste de comparer les émissions de gaz à effet de serre par habitant. Parmi les plus grandes économies, le Canada et les Etats-Unis sont les plus polluantes en rejetant respectivement 16,9 et 15,7 tonnes de CO2 par habitant. L’Allemagne, la Chine se situent un cran en-dessous et se retrouvent devant l’Espagne et la France qui se placent au-dessus de la moyenne mondiale. Le Brésil et l’Inde sont en revanche bien plus bas. Mais même cette présentation n’est pas satisfaisante car c’est une approche par l’offre. C’est bien simple : fermer une usine et importer et votre bilan carbone s’améliorera ! C’est pourquoi il est plus juste de se référer à la seconde approche, celle de l’empreinte carbone, une mesure des émissions associées à la consommation de produits par les résidents d’un pays indépendamment du lieu de fabrication.
Avec cette approche plus globale les pays occidentaux apparaissent beaucoup plus émissifs. Le cas de la France est d’ailleurs très révélateur. La véritable empreinte carbone liée uniquement aux trois principaux gaz à effet de serre ressort à 663 millions de tonnes soit un niveau supérieur à celui de 1995 date des accords de Kyoto. En revanche, calculé sur le territoire stricto-sensu, comme habituellement, le niveau tombe à 427 millions de tonnes, c’est 40% environ de moins. Surtout, c’est un chiffre en baisse de près de 20% depuis 1995. Or c’est bien sur cet indicateur que le France (et les autres pays signataires) ont pris des engagements et sont jugés. C’est un avantage pour les pays occidentaux qui importent de plus en plus ce qu’ils consomment qui sous-traitent donc leurs émissions au détriment des pays fournisseurs de matières premières, ou de produits manufacturés.
Bien entendu, avec l’amélioration de leurs niveaux de vie, Chinois et Indiens ont été les plus grands contributeurs à la hausse des émissions de gaz à effet de serre, mais cela n’absous pas les pays occidentaux de faire des efforts eux qui ont bâti en partie leur décarbonisation sur la carbonisation des autres, France comprise.
Publié le mardi 16 mai 2023 . 5 min. 37
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