L’Europe subit une avalanche de chocs (énergétique, inflationniste, climatique, géopolitique, monétaire ou sanitaire) rendant la récession inévitable.
L’inflation sous-jacente progresse rapidement
Il faut d’abord prendre la pleine mesure de la flambée des cours des hydrocarbures et de leur maintien à haut niveau sur la croissance. Les importations de pétrole et de gaz naturel représentent désormais 4% du PIB de la zone euro. Et comme cette dernière en produit de façon très marginale, cela creuse d’autant le déficit. La violence du choc a été suffisante pour que le solde du commerce extérieur vire au rouge et chute en octobre dernier à son plus bas niveau depuis la création de l’Union économique et monétaire. Les excédents courants ont mécaniquement fondu pour laisser place à un déficit courant. Très concrètement, il s’agit, dans les grandes lignes, d’un transfert massif des revenus européens vers les pays producteurs d’hydrocarbures. Ces prélèvements débouchent nécessairement sur une baisse de l’activité, soit par le recul des salaires, celui des profits ou de manière indirecte par le gonflement du déficit public si les gouvernements prennent en partie à leur charge la facture énergétique des ménages et des entreprises.
Avec l’envolée des prix de l’énergie, l’inflation a, en effet, fait un retour en force. Très directement parce que les prix des carburants se sont envolés. Indirectement en raison de l’indexation du prix de l’électricité sur le gaz dont le cours a explosé avec la guerre en Ukraine mais aussi en renchérissant les coûts de production notamment des industries les plus énergivores.
En outre, est venue se greffer la hausse des cours des principaux métaux et des denrées agricoles. Alors certes, la situation du côté des matières premières s’apaise un peu. Mais les boucles qui entretiennent le phénomène inflationniste ont eu le temps de se mettre en place comme l’indique la progression rapide de l’inflation sous-jacente. Le niveau élevé et la généralisation de l’inflation l’ont rendue persistante, donc difficile à réduire. Et sa décélération sera très lente en 2023. Or, faute de mécanismes d’indexation, les rémunérations ne suivent pas ou partiellement la hausse des prix à la consommation. D’où depuis trois trimestres, une baisse générale du pouvoir d’achat malgré les mesures de soutien.
Entreprises : une remontée brutale du niveau des stocks
Ce n’est pas bon pour la consommation comme l’indique le décrochage des ventes au détail en volume depuis juin dernier. Ce n’est pas bon non plus pour le moral des ménages tombé à un plancher historique. Le plus inquiétant c’est que les consommateurs n’entrevoient pas le bout du tunnel. Le jugement qu’ils portent sur leur situation financière au cours des 12 prochains mois reste dégradé ce qui les pousse à reporter sine die les gros achats impliquant, comme l’automobile ou l’équipement du foyer.
L’immobilier, la construction ne pourront pas non plus passer à travers un sérieux ajustement, car au pouvoir d’achat miné se superpose désormais l’impact de la hausse des taux d’intérêt. De moins en moins d’Européens déclarent ainsi vouloir faire l’acquisition d’un logement au cours des 12 prochains mois. De même, les travaux importants à effectuer dans les habitations sont massivement reportés.
Du côté des entreprises, l’investissement demeure toujours en dessous de son niveau prépandémie. Un temps freiné par les pénuries de biens d’équipement, le processus de rattrapage est maintenant ralenti par les pressions sur les marges. L’augmentation des prix a certes permis de préserver la rentabilité des plus grosses entreprises. Souvent en position de force sur leurs marchés, elles ont réussi à répercuter la hausse de leurs coûts sur leurs prix de vente, mais pas les PME. Autre frein à l’investissement, le durcissement des conditions financières avec la remontée des taux, auquel s’ajoute une activité qui tourne au ralenti.
À cet égard, deux indicateurs doivent alerter sur la tendance à venir : le premier, les carnets de commandes globaux de moins en moins bien garnis dans l’industrie, le second, la remontée brutale du niveau des stocks de produits finis. Le décrochage est inévitable et l’assèchement des débouchés va contraindre les entreprises à renouer avec des stratégies de luttes pour les parts de marché, attisant la concurrence par les prix. Dès lors, elles vont inévitablement reporter la correction sur l’emploi et la productivité pour réduire leurs coûts.
Les États, pour ne pas trop perdre de la demande intérieure, prennent une part du fardeau, ce qui alimente le déficit public. Bref, il s’agit d’un simple lissage dans le temps des effets de l’empilement de chocs, ce qui pourrait à court terme restreindre la récession à son aspect technique, c’est-à-dire 2 trimestres de baisse modérée du PIB sans passer en territoire négatif en moyenne annuelle sur l’ensemble de l’année.
Mais ce film qui tourne au ralenti annonce aussi un étirement de la crise jusqu’en 2024. Tous les pays vont la traverser. Mais comme à chaque crise, l’intégrité de l’attelage européen est mise à l’épreuve. Le cavalier seul budgétaire non coopératif de l’Allemagne montre bien notamment le retour du chacun pour soi.
Publié le mardi 13 décembre 2022 . 5 min. 20
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