Aussitôt réélu, le Président Erdogan a opéré un virage à 180 degrés dans la conduite de sa politique monétaire. Une politique hétérodoxe, aux antipodes des principes économiques, résumée en ce mantra : les taux d’intérêt élevés alimentent l’inflation, il est donc impératif de les maintenir à bas niveau. Un dogme repris durant la campagne électorale et ce serment du Président-candidat : la Banque centrale ne relèvera pas son taux directeur tant qu’il sera au pouvoir. Durant son précédent mandat, les gouverneurs opposés à cette thèse ont en fait les frais : trois ont été limogés entre 2019 et 2021.
Le piège de l'inflation
Les conséquences de cette obstination aveugle ont pourtant contraint à une volte-face. Une nouvelle équipe d’économistes, en partie formés à Wall Street, a pris les rênes de l’Institution monétaire et du ministère des Finances. Les décisions n’ont pas tardé à tomber : le taux directeur est passé de 8,5 à 35% en 5 mois. Un record en si peu de temps, preuve de l’urgence. Il est certes toujours possible d’opposer aux détracteurs du Président Erdogan, ses performances obtenues en termes de croissance et d’emplois : le PIB turc a, après tout, progressé sur une base annuelle de 4,6% entre 2018 et 2023 malgré la crise sanitaire. En face, l’Europe fait pâle figure, bloquée autour de 1%. La croissance turque a de plus été suffisante pour générer suffisamment d’emplois afin d’absorber la hausse de la population active et faire refluer le taux de chômage.
Mais c’est un miroir aux alouettes. L’édifice mis en place repose sur un crédit bancaire dynamique, bon marché. C’est très efficace pour soutenir la consommation, l’investissement, la croissance, mais gonfle ipso facto la masse monétaire et nourrit une spirale inflationniste infernale. En hausse officiellement de près de 85% en octobre 2022, l’inflation est redescendue de façon opportune pendant la campagne présidentielle avant de remonter pour se fixer aux alentours de 60%. Pour éviter la montée de la colère sociale, l’exécutif s’est alors lancé dans une série de revalorisations du salaire minimum peu avant les échéances électorales. Bilan, le coût horaire du travail a explosé nourrissant en retour la hausse des prix.
La flambée de l’inflation, cela se paie cash sur le marché des changes. La rémunération des placements turcs s’est dégradée vis-à-vis des placements alternatifs poussant les investisseurs à fuir la livre et contraignant la banque centrale à intervenir.
Crédibilité retrouvée
Cette double boucle prix-salaire et taux de change-prix qui a fait dégénérer l’inflation en hyperinflation a fait fuir les investissements étrangers pourtant essentiels à une économie dont les déficits courants s’empilent depuis des années. La restauration de la crédibilité de la banque centrale devient donc impérative, ce qui explique le revirement du Président. Il devra certainement aller plus loin : sous-indexation des salaires aux prix et/ou orientation monétaire encore plus restrictive, le taux d’intérêt réel étant toujours très négatif, et/ou ancrage de la livre au dollar pour faire disparaître les anticipations de dépréciation de change sont autant d’options possibles, mais cela se paiera par de la croissance en moins.
Satisfecit pour le Président, le FMI et la Banque mondiale sont désormais prêts à venir en soutien, signe d’une crédibilité retrouvée. Une croissance tirée par le crédit, c’était le plus court chemin pour obtenir des résultats. Le reniement actuel du chef de l’État montre que c’était une voie sans issue pour valoriser les nombreux atouts d’un pays au-delà même de sa situation géographique : un vaste marché intérieur composé de 85 millions d’habitants, une population jeune, formée, instruite, une large base industrielle et exportatrice, complétée d’un important secteur touristique de qualité, un tissu entrepreneurial dynamique, et enfin une diaspora importante. Des ressources toujours aujourd’hui largement sous-exploitées.
Publié le jeudi 16 novembre 2023 . 4 min. 10
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