C’est le retour du Club Med, mais rien à voir avec le tourisme. C’est ainsi que les Allemands appellent les pays d’Europe du Sud — à savoir principalement l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, mais aussi la France — depuis le milieu des années 90 date du début des discussions autour des pays éligibles à l’Union économique et monétaire. Vue d’Allemagne, des pays pas très sérieux qui accumulent dettes et déficits budgétaires en raison d’une gestion laxiste, où les habitants travaillent peu et pas efficacement.
Retour sur la crise des dettes souveraines
Des économies qui furent au cœur de la crise des dettes souveraines de 2010, menaçant l’existence même de l’euro. En amont de cette crise, l’augmentation de l’endettement public et privé depuis 2000 dans ces pays. L’élément déclencheur, la crise des subprimes venue des États-Unis en 2007-2008 qui s’est vite transformée en une récession générale, avec à la clé, en Europe, une explosion du chômage, des déficits et de l’endettement public. Pour les pays en délicatesse avec leurs comptes, c’est la goutte d’eau de trop. Les agences de notation abaissent leurs notes, entraînant une défiance générale des investisseurs et les taux souverains s’envolent, asphyxiant le Sud, la Grèce principalement.
L’Allemagne et les pays du Nord se retrouvent alors confrontés à ce qu’ils redoutaient : devoir renflouer un État en difficulté n’ayant pas respecté les règles communes. Un accord sera trouvé sous la forme d’un plan d’aide de 110 milliards d’euros, mais conditionné à une sévère cure d’austérité imposée au pays. En parallèle, pour rassurer les marchés, un Fond européen de stabilité financière doté de 750 milliards d’euros est créé pour les pays fragilisés (Espagne, Portugal, Italie, principalement), toujours conditionné à la mise en place de politiques d’austérité. Sur le fond rien n’est résolu. Les demandes domestiques s’effondrent, les économies plongent, d’autant que la synchronisation des mesures de consolidation budgétaires renforce leurs effets délétères, aggravant in fine le surendettement des pays vulnérables renforçant la défiance des investisseurs et faisant flamber les taux.
C’est l’impasse. Certains pays du Nord caressent l’idée de l’Exit pour sanctionner ces indésirables. Mais c’est finalement la BCE, menée par Mario Draghi, et sa volonté de ne jamais abandonner l’euro, quel qu’en soit le prix, quitte à acheter la dette des États, qui mettra un terme à la crise.
Poussée de fièvre en juin 2022
Et c’est ce spectre qui ressurgit 10 ans plus tard. Juin 2022, le Club Med se manifeste à nouveau sur les marchés financiers. Le 9, la BCE a en effet mis fin à sa politique d’achat d’obligations sur le marché. Elle promet de surcroît une hausse des taux pour juillet, une première en 11 ans, en précisant qu’elle n’excluait pas une hausse plus importante en septembre si l’inflation ne ralentit pas. Résultat, les obligations des pays les plus endettés qui bénéficiaient le plus de la politique d’achat de titres de la BCE ont été délaissées au profit des pays les plus solides sur le plan financier. L’Italie et la Grèce perçues comme les maillons les plus faibles par les marchés voient dès lors leurs taux obligataires nettement s’élever pour casser le plafond des 4%, au plus haut depuis 2013. Il a fallu une réunion d’urgence le 15 juin de la BCE qui s’est dite déterminée à intervenir en cas de fortes turbulences, pour tempérer cette poussée de fièvre : taux grecs et italiens sont revenus à 3,5%… pour l’instant.
Mais c’est un fait à chaque nouvelle secousse économique, la zone euro continue de montrer des signes de fragilités et est sous la menace d’une nouvelle crise de la dette publique. Les situations les plus inquiétantes sont celles de l’Italie et de la Grèce qui cumulent à la fois une dette publique très élevée, des taux d’intérêt supérieurs aux autres et un potentiel de croissance plus faible. Ces deux pays n’ont d’ailleurs toujours pas digéré la crise de 2008-2009 et leur PIB reste aujourd’hui inférieur à celui de 2007.
Des pressions sur la soutenabilité des dettes publiques
Et l’on commence à percevoir quels enchaînements mortifères pourraient se mettre en place. Pour lutter contre l’inflation et soutenir l’euro, la BCE est poussée à augmenter son taux directeur ce qui conduit à une hausse modérée des taux d’intérêt sans risque de la zone euro, par exemple ceux de l’Allemagne. Négatif en début d’année, le taux obligataire à 10 ans se situe désormais à 1,5%, c’est-à-dire un rendement proche de celui des taux grecs au début d’année. Autrement dit, un investisseur peut obtenir un rendement comparable en misant sur des obligations à 10 ans de l’Allemagne, le pays de la zone euro considéré comme le plus sûr. Délaissant les segments les plus risqués, ce report alimente en partie la hausse des spreads des pays périphériques plus risqués, c’est le cas de l’Italie. Bref, la hausse des taux d’intérêt sans risque fait monter les spreads des pays périphériques et fait pression sous la soutenabilité de leur dette publique et leur capacité à financer leurs dépenses. C’est l’équivalent d’une cure d’austérité avec le risque de cercle vicieux que l’on connaît.
C’est toute la difficulté de revenir à une politique monétaire plus conventionnelle. Les marchés recommencent à discriminer les risques. Et la question qui fâche, celle des transferts vers les pays les plus vulnérables, prend une nouvelle acuité quand la dette n’est plus gratuite.
Publié le jeudi 30 juin 2022 . 5 min. 13
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