Xerfi Canal présente l'analyse de Jean-Michel Quatrepoint, journaliste-essayiste
Lentement mais sûrement, l’Allemagne met la main sur l’Europe. Depuis la crise des dettes souveraines et le psychodrame hebdomadaire sur la dette de la Grèce, les citoyens de la zone euro ont compris que le centre du pouvoir ne se situait plus à Bruxelles, encore moins à Rome ou à Paris, mais bel et bien à Berlin.
Certes, le duo Merkel-Sarkozy tente de donner l’impression que le couple franco-allemand fonctionne encore à parité. Rien n’est plus faux. En réalité, depuis l’adoption des traités de Nice, puis de Lisbonne, les Européens, à commencer par la France, ont accepté cette montée en puissance du leadership allemand. Ces traités, rappelons-le, mettaient fin à l’un des principes de base de la Communauté européenne. À savoir, la parité entre les grands pays européens, tant au sein du Parlement que de la répartition des voix au Conseil européen.
En acceptant que l’Allemagne, réunifiée et forte de ses quatre-vingt millions d’habitants, ait plus de sièges et plus de voix dans certaines autres instances européennes, on lui reconnaissait, de facto, une prééminence. Dans l’Europe de Lisbonne, la France ne pèse plus que les trois-quarts de l’Allemagne.
Cette prééminence se retrouve désormais dans les grandes institutions européennes, et dans les nominations à des postes peu connus du grand public, mais ô combien stratégiques. C’est ainsi qu’aujourd’hui, comme l’a révélé la Tribune, l’Allemagne contrôle pratiquement les institutions financières de la zone. Certes, c’est un Italien, Mario Draghi, qui a remplacé Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, mais le siège de la banque est à Francfort. Une BCE, génétiquement plus allemande y reste prépondérante. Alors que depuis le départ de Jean-Claude Trichet, le poids de la France est réduit à celui du Portugal, ou de l’Espagne.
En revanche, la Banque européenne de reconstruction et de développement, créée, à l’époque de François Mitterrand, par et pour Jacques Attali – la contrepartie ayant été alors de mettre le siège social à Londres – la BERD donc est dirigée aujourd’hui par un Allemand. Tout comme la Banque européenne d’investissement.
Le nouveau fonds de stabilité financière, créé en 2010 pour gérer la crise des dettes souveraines, est également managé par un Allemand, Klaus Reging. Il en est de même pour la fameuse task force, qui assure, à Athènes, la tutelle européenne sur la Grèce.
Deux postes clés de l’appareil bruxellois ont, eux aussi, basculé récemment dans les mains allemandes. Celui de chef de cabinet du président de la Commission et celui de secrétaire général du Conseil de l’Union européenne, poste hautement symbolique, occupé jusqu’alors par un Français, Pierre de Boissieu, un des personnages historiques de l’eurocratie bruxelloise. Or, Pierre de Boissieu a été remplacé, à l’été dernier, par Uwe Corseplus, qui était le conseiller d’Angela Merkel pour les questions européennes et la politique économique et financière. On pourrait ajouter, presque pour mémoire, le fait que le parlement européen de Strasbourg est aujourd’hui présidé par un Allemand.
Tous ces changements se sont faits normalement, au fil de l’eau. Sans que personne n’y trouve à redire. Là, on remplaçait un Portugais, ailleurs un Belge, ici un Français ou un Anglais et, au bout du compte, on se retrouve avec une kyrielle d’Allemands aux postes clés de l’économie et de la finance européenne.
Des postes depuis lesquels on peut influencer les orientations économiques, financières, monétaires, de l’Europe. Il en est ainsi des règles et des indicateurs que la Commission concocte dans le cadre du nouveau traité européen. Un de ces indicateurs a trait aux déséquilibres des balances courantes entre les États membres. Il s’agit, pour l’essentiel des balances commerciales.
C’est une bonne idée, tant il est vrai que ces déséquilibres sont un des éléments clés de la crise de la zone euro, comme de la crise mondiale.
La Commission a donc établi des critères. Si un ou des États ont des déficits ou des excédents jugés excessifs, Bruxelles les sommera de revenir dans le rang et de prendre des mesures pour rétablir les équilibres. Jusque là, rien à redire. À ceci près que, curieusement, la fourchette de ces déséquilibres a été fixée de – 4 % du PIB pour les déficits à + 6 % pour les excédents. Pourquoi pas – 4 % et + 4 % ? C’eut été plus logique. Il se trouve que les excédents allemands représentent très exactement 5,9 % du PIB. Juste en dessous des 6% fatidiques…De la à penser que ce chiffre a été choisi pour ne pas déplaire à Berlin, il n y a qu’un pas … que seul des esprits mal intentionnés franchiront…
Jean-Michel Quatrepoint, Comment Berlin pilote l'Europe, une vidéo Xerfi Canal.
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