Xerfi Canal présente l'analyse de Jean-Michel Quatrepoint, Journaliste-essayiste
Qu'y a-t-il de commun entre l'Ukraine et BNP Paribas ? A priori, rien. Pourtant, la crise ukrainienne et l'amende record infligée à la banque française par les autorités américaines sont les deux faces d'un même problème. L'absence d'un véritable leadership de l'Europe. Sur le plan politique, diplomatique, militaire et monétaire.
Ce n'est pas le fruit du hasard, mais la conséquence de choix qui ont été faits, il y a près de vingt cinq ans. Lors de l'effondrement du communisme, la France de François Mitterrand avait tenté de faire prévaloir l'idée d'une confédération européenne, incluant la Russie. C'était reprendre l'idée gaulliste d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural. Les Américains s'y opposèrent formellement. Et les Allemands, tout occupés à leur réunification, qui n'avaient pas la même vision d'une Europe puissance que les Français, allèrent dans le sens de Washington.
Les élites françaises se sont alors rabattues sur l'idée de la monnaie unique. Avec trois objectifs : éviter que l'Allemagne ne s'autonomise ; faire de l'euro une monnaie alternative au dollar ; et appliquer en France la rigueur économique qui avait fait la force de l'Allemagne. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces objectifs ont été loin d'être atteints.
Ce que les Français n'ont pas compris à l'époque, c'est que l'euro n'a, en fait, vu le jour qu'avec la bénédiction des Américains. Et à une condition : que la monnaie européenne ne soit, en aucune manière, un concurrent du dollar. L'euro, en fait, est comme le mark. C'est une monnaie intérieure à un groupe de pays. Une monnaie, que les banques centrales du monde entier peuvent mettre dans leurs réserves, comme elles le faisaient hier avec le mark, le franc suisse, ou la livre. Mais l'euro n'est pas la monnaie des transactions internationales.
Tous les grands contrats internationaux sont libellés en dollars, tout comme l'essentiel du commerce. Sans parler de la cotation des grandes matières premières, à commencer par le pétrole. Or, toutes ces transactions sont désormais contrôlées, en temps réel, par les Etats-Unis, à travers les systèmes informatiques. Car toute transaction en dollar, aussi petite soit-elle, est compensée aux Etats-Unis, c'est-à-dire qu'elle transite virtuellement par le sol américain. C'est ainsi que Washington entend faire appliquer ses propres règles, notamment en matière d'embargo ou de sanctions économiques.
Un pays a parfaitement compris l'importance de la monnaie dans la quête de leadership, c'est la Chine. Pékin ne cache pas sa volonté de faire du yuan une monnaie utilisée dans les transactions commerciales entre États, pour ne pas laisser au dollar un monopole. Cet affrontement monétaire qui se profile est un des éléments non négligeable du contentieux entre la Chine et les Etats-Unis. Pour l'Europe, pour l'Allemagne, puissance dominante du Vieux Continent, l'heure de vérité approche. Pour maintenir sa prospérité économique, l'Allemagne a besoin, non seulement des marchés russes, mais aussi et surtout de la Chine. Que se passera-t-il si Pékin demande à Berlin de libeller une part croissante de son commerce, en yuan ou en euro, en se passant du dollar ?
Avec la crise en Ukraine et le climat de guerre froide qu'une majorité d'Américains veut réactiver, Angela Merkel est confrontée à un dilemme. Soit elle s'aligne définitivement sur Washington, avec tous les risques économiques et commerciaux que cela comporte. Soit elle choisit d'être le leader d'une Europe puissance, en ne se contentant pas d'un leadership économique. La diplomatie allemande a déjà été active pour calmer le jeu en Ukraine. Il faudrait maintenant que l'Europe s'autonomise militairement. Et là, la France peut jouer un grand rôle. À condition d'oublier l'Otan, qui n'est qu'un instrument des Américains. Il faudrait enfin que l'euro devienne progressivement ce qu'il n'a jamais été : une monnaie pour les transactions internationales, comme l'est aujourd'hui le dollar, et comme le sera demain le yuan.
Jean-Michel Quatrepoint, L'Europe sans puissance : l'heure de vérité, une vidéo Xerfi Canal
Publié le lundi 15 septembre 2014 . 4 min. 07
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