Depuis la réélection d’Emmanuel Macron, la réforme des retraites monopolise le débat. Écrasant tout sur son passage, elle a relégué au second plan d’autres projets législatifs pourtant clivants, comme la réforme du chômage ou celle de relance nucléaire. Elle fait surtout table rase des interrogations et des aspirations mises à jour par la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine. Rarement les citoyens n’auront été percutés dans un temps si bref par autant d’enjeux existentiels : prise de conscience du délabrement et de la sous-capacité de notre système de santé, hyper-vulnérabilité de nos approvisionnements stratégiques, défaut de reconnaissance sociale des travailleurs « invisibles », enchaînement de catastrophes climatiques, repolarisation hostile du monde… Sans parler du bouleversement des modes de vie induit par l’irruption du télétravail à grande échelle.
Juste reconnaissance du travail
Or, c’est ce moment de l’Histoire qu’Emmanuel Macron choisit pour rejouer la partition du « no alternative » thatchérien, celle de l’adaptation forcée du pays à une rationalité financière qui transcende toutes autres aspirations. Et revêtant les habits du président-gestionnaire, engageant un rapport de force entre le gouvernement des experts et les corps intermédiaires, il renie par la même sa promesse d’entre-deux tours, de gouverner autrement. Et fait l’impasse sur les prises de conscience, liées à l’histoire récente, qui ont renversé l’ordre des priorités aux yeux de l’opinion.
Le débat sur les retraites court-circuite notamment la question essentielle de la juste reconnaissance du travail, qui aurait dû être posée en préalable de la réforme. Les confinements ont révélé au grand jour toute une série de professions névralgiques, mais de l’ombre, sur qui a reposé tout entier le maintien à flot de nos économies durant les confinements. Ce sont les mains invisibles de la bonne marche du système : aides-soignants, livreurs, aides à domicile, agents d’entretien, transporteurs, caristes, caissières, vigiles, serveurs ou encore aides agricoles. Tous concourent au bon fonctionnement de la société et des entreprises, mais avec des conditions de travail dégradées, des modes de management autoritaires, des horaires variables et décalés, une faible protection de l’emploi, et des bas salaires.
Or, depuis quelques années, participant à la panne de l’ascenseur social, la part de ces emplois de service augmente. Subventionnés par l’État qui les cofinance via la prime d’activité et les aides au logement notamment, ne cotisant quasiment plus au financement de la protection sociale à proximité du SMIC, ces emplois coûtent de plus en plus cher à la puissance publique. Les transferts de l’État aux ménages augmentent nettement plus vite que les impôts et cotisations qu’ils versent à la collectivité, plombant les finances publiques. De ce point de vue, la réforme des retraites ne s’attaque pas au cœur du problème. Le fait que l’État se soit érigé en co-financeur de l’emploi privé, encourageant la sous-rémunération de certains métiers, et les exonérant de cotisations, a miné la base du financement de la protection sociale et du système par répartition.
La fragilité financière de l’État est bien réelle
Deuxième bombe latente derrière le blocage sur les retraites, en lien avec ce qui a été dit précédemment, la fragilité financière de l’État est bien réelle. Ce dernier ne dispose plus de modèle de financement soutenable. En jouant le registre de la baisse des impôts, de l’indemnisation des métiers dégradés et du soutien à tout va de la sphère privée, le bouclage ne peut se faire que sur la dette. Une dette adossée à des dépenses courantes. Gratuite jusqu’à l’an dernier, cette dette a permis de voiler l’insoutenabilité profonde du système. Mais en vérité, à près de 115% du PIB, elle peut devenir une véritable bombe en cas de durcissement des conditions monétaires. Ce n’est pas encore le cas. Ce qui compte ce sont les taux d’intérêt réels, toujours négatifs, et le cas du Japon montre que ce régime d’impunité peut durer très longtemps. Mais en cas de nouvelle donne financière, le gouvernement ne dispose plus de doctrine de financement soutenable de ses dépenses, par l’impôt et les cotisations sociales.
Troisième bombe enfin, l’État est démuni financièrement pour aborder les réformes qui tiennent le plus à cœur aux citoyens, face au délabrement de services essentiels : la restauration de leur système de santé, le climat, l’Éducation, voire les enjeux de sécurité intérieurs et extérieurs. Piégé dans les dépenses de transfert, il ne peut aborder ces enjeux qu’au rabais, décevant les attentes.
Et dans l’impossibilité d’assumer l’insoutenabilité d’un système budgétaire qu’il a lui-même contribué à échafauder, le président se retrouve piégé dans son costume étroit de président gestionnaire, ne sachant expliquer les ressorts de sa réforme, et loupant son rendez-vous avec l’histoire.
Publié le lundi 27 mars 2023 . 5 min. 25
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