Quelque chose cloche encore et toujours dans la compétitivité hexagonale. Voici bientôt 10 ans que la France est engagée dans des politiques de l’offre. Modérant la hausse du salaire minimum. Allégeant la fiscalité sur les entreprises et poursuivant la baisse des charges sur les bas et moyens salaires. Et pourtant rien n’y fait. Les parts de marchés à l’exportation continuent à fondre inéluctablement. Si l’on scrute par exemple l’indicateur de performance à l’exportation de l’OCDE, qui rapporte les exportations en volume françaises à la demande qui est adressée aux entreprises hexagonales, c’est-à-dire aux importations de nos marchés de destination, la France n’a tiré aucun gain de sa politique et continue à décrocher. Si l’on scrute maintenant la part française dans les exportations de la zone euro, en volume ou en valeur, c’est-à-dire en comparaison d’économies proches géographiquement et soumises à la même parité, le constat est tout aussi préoccupant.
La préférence fiscale française pour le travail non qualifié
Les causes sont multiples, certes. Emprise allemande sur l’outsourcing oriental. Dynamique démographique du marché hexagonal supérieure à celle de ses voisins, tropisme public en faveur des politiques de soutien à la consommation, stratégies de multi-localisation des grands groupes hexagonaux etc. Mais parmi ces causes, la préférence fiscale française pour le travail non qualifié est de loin celle où la spécificité hexagonale est la plus poussée. Elle est le fruit d’une politique constante de baisse des charges centrée sur les bas salaires, initiée sous le gouvernement Balladur en 1993 et sans cesse amplifiée par la suite.
Le niveau des prélèvements effectifs dont s’acquittent les employeurs au niveau du SMIC a ainsi drastiquement diminué : pour les entreprises de plus de 20 salariés, leur part dans le salaire brut est passée d’en moyenne de 46 % en 1988 à 7 % en octobre 2020. Pour les entreprises de 11 à 20 salariés, de 46 % à 6 % et pour celles de moins de 11 salariés de 42 % à 3 %, plaçant la France en bas de l’échelle européenne pour les plus bas salaires. L’extension dégressive de ces baisses imprime encore sa marque au niveau du salaire moyen, contribuant encore à une réduction de l’écart avec les pays de l’UE au niveau d’un salaire moyen. Au-delà, au-dessus de 2,5 SMIC, c’est-à-dire pour les métiers rémunérés au-dessus de la moyenne, ces allègements disparaissent et le fossé s’est plutôt amplifié au fil des années, atteignant près de 23 points en 2021.
L’effet collatéral de cette politique, c’est que les prélèvements augmentent fortement à mesure que l’on s’éloigne du salaire minimum, la France détenant un record au sein de l’OCDE, pour les rémunérations supérieures à 2 SMIC, c’est-à-dire pour les métiers moyennement ou très qualifiés. Cette progressivité est de surcroît totalement spécifique à la France, aucun pays ne pratiquant une politique d’incitation en faveur du travail peu qualifié aussi marquée.
Faible accroissement de la production
Une telle progressivité des charges induit plusieurs effets. Elle agit d’abord comme un frein à la hausse des salaires et aux progressions de carrière, notamment pour les salariés qui se situent dans la zone de progressivité des charges. Elle incite ensuite au déclassement salarial des diplômes et des compétences, avec une forte incitation à sous-qualifier les postes.
Mais plus globalement, elle favorise les modèles d’affaires intenses en travail peu qualifié. La France exporte peu et mal. Mais scrutons les secteurs où ses créent les emplois en France depuis fin 2019. Sur cette période, en dépit des crises successives, la job machine a tourné à plein régime. Avec en tête des créations d’emploi, des services B-to-B spécialisés, dont on peut supposer qu’ils sont à fort contenu en travail qualifié, mais peu exportables.
C’est de surcroît l’arbre qui cache la forêt. Commerce, construction, services de soutien logistique et administratif aux entreprises, aides-soignants, restauration, hébergement, loisirs, etc. Le gros des bataillons des nouveaux emplois dont se dote la France est dans les secteurs de service à forte intensité en main-d’œuvre peu qualifiée. Avec une contrepartie faible en termes d’accroissement de la production. Le numérique tourne à plein certes, mais pour bâtir des plateformes de travail à distance et de commerce en ligne drainant elles aussi du travail sous-qualifié et faiblement rémunéré.
Le seul secteur industriel qui crée de l’emploi est l’industrie agro-alimentaire. Une industrie qui ne cesse pourtant de perdre des parts de marché, bousculée par les concurrents européens de plus en plus productivistes.
La France qui exporte sonne aux abonnés absents. Avec à la clé une baisse de la productivité. Grâce à la baisse des charges, la France est bien parvenue à accroître le contenu en emploi de sa croissance. Elle n’a toujours pas su créer le modèle de croissance endogène qui lui permettrait de reconquérir sa place dans le commerce international.
Publié le mercredi 16 novembre 2022 . 5 min. 11
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