L’euro est un bouclier incontestable pour les économies de la zone au cœur des grandes tourmentes qui secouent le capitalisme mondial, qui se transforme en poison lent entre deux chocs. La crise sanitaire ne déroge pas à ce constat.
Pour des économies qui poussent toujours plus loin leur endettement, la stabilité du change est plus que jamais décisive pour éviter que des enchaînements catastrophiques ne voient le jour, à l’instar de ceux que l’on observe en Amérique latine. Ceux où la dévaluation de la devise transforme le service de la dette souscrite en devise étrangère en fardeau insoutenable et engage les économies vulnérables dans une spirale de dévaluation, d’inflation, voire d’hyperinflation, qui se solde par une renégociation des engagements assortis de plans de rigueurs drastiques, sous la houlette du FMI. Et c’est bien la crédibilité monétaire de la zone qui lui permet de mener des politiques non conventionnelles à grande échelle, vitales pour stabiliser les économies à court terme, et dont bénéficient collectivement tous les États membres, sans que cela nuise à la stabilité du change.
Sur la base de ce constat, on pourrait penser que la crise sanitaire renforce la légitimité de l’euro et la cohésion de la zone. L’euro est devenu un chemin sans retour, pour des économies de plus en plus surendettées, un paratonnerre anti-spread qui fragilise un peu plus le discours sur les gains à attendre d’une option exit.
Un choc terriblement asymétrique
Néanmoins, on le sait aussi, dans un contexte de monnaie unique, l’espace européen accommode très difficilement les chocs asymétriques. Or, le choc sanitaire est terriblement asymétrique aux conséquences très différenciées selon la spécialisation des économies. Les niveaux de récupération des économies de la zone au troisième trimestre en donnent un premier aperçu, rouvrant à nouveau la fracture nord-sud. Mais il ne s’agit là que du début du film.
On pourrait se dire a priori que le Sud a été surexposé à la crise sur des secteurs des services (tourisme, services aux personnes, notamment) qui, quoiqu’en première ligne de la crise sanitaire, se normaliseront plus rapidement que d’autres lorsque la pandémie aura cessé. On pourrait penser a contrario que la vitesse de récupération des activités industrielles sera plus problématique à terme. La reconversion de l’automobile, de l’aéronautique avec ses effets collatéraux sur les biens d’équipement et les industries de matériaux prendra plus de temps, pénalisant ainsi durablement l’Allemagne, le Nord et par ricochet la partie orientale de l’Europe. La photographie des pertes de production observée à ce jour serait donc trompeuse. Mais ce serait une erreur.
L’Allemagne va renforcer son leadership
La force de l’Allemagne réside dans sa capacité à agglomérer la puissance de feu industrielle européenne sur son territoire. L’Allemagne joue aujourd’hui le repositionnement numérique et écologique de son industrie. Elle n’a pas droit à l’erreur. Et elle utilise aujourd’hui sa puissance de feu budgétaire, supérieure à celle des autres économies de la zone, pour accélérer ce repositionnement. La crise intensifie de surcroit un jeu de concentration et d’acquisition de technologies clés qui bénéficie aux industries qui sont déjà en position dominante. Ce jeu se fera au détriment des challengers et des PME moins bien armés pour opérer cette reconversion, autrement dit au détriment des économies du Sud. La reprise, sera in fine portée par les biens d’équipement, le digital, le secteur de la santé… autant de trains sur lesquels le Sud ne pourra embarquer et sur lequel l’Allemagne va renforcer son leadership.
Des cicatrices profondes sur les économies du Sud
Cette crise porte donc en germe une nouvelle divergence des coûts unitaires qui risque d’effacer les acquis de la dernière décennie. La cicatrice en matière de croissance et de productivité s’annonce en effet bien plus profonde pour les économies de services peu qualifiés du Sud, sans possibilité de dévaluation correctrice. Si ce n’est l’arme de la dévaluation fiscale dont on sait qu’elle ne cesse d’assécher le financement des pays qui ont les plus gros besoins d’infrastructures collectives et d’investissement social. Avec pour toile de fond aggravante un risque d’appréciation générale de l’euro, syndrome récurrent en sortie de crise, lorsque les autres régions du monde, États-Unis en tête, cherchent à exporter leur déflation sur le reste du monde. Et l’on pressent que pour le Sud, en y incluant la France, c’est moins la panne du tourisme, qui sera transitoire, que leur faible répondant industriel qui risque de profondément fragiliser les économies dans la durée.
Bref, l’Europe va affronter en sortie de crise des forces centrifuges exacerbées. Ce qui pose à nouveau la question d’un budget européen redimensionné dans la durée, éternel serpent de mer, dont rien ne dit que le plan de relance actuel, conçu dans l’urgence, soit les prémisses.
Publié le mercredi 16 décembre 2020 . 5 min. 29
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d'Olivier Passet
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