La Frenchtech a franchi un nouveau cap en 2021. La start-up nation prend forme et le slogan est en passe de devenir réalité. Les chiffres sont spectaculaires. L’argent coule à flot et c’est une pluie de financements qui s’est abattue sur les start-up hexagonales : une somme impressionnante à échelle française de 10 à 11 milliards d’euros selon les estimations, 2,5 fois plus que par rapport à 2020 (4,3 milliards d’euros), et le triple des fonds levés en moyenne au cours des 5 dernières années.
Derrière cet engouement, l’abondance de cash au plan national et mondial en quête de rendements, dans un contexte où les produits de taux ne rapportent presque plus rien, qui gonfle la liquidité des fonds. La permanence d’un contexte de taux zéro, qui favorisent le levier ; Et plus marginalement, le contexte fiscal de l’IFI, qui exempte la composante financière du patrimoine de l’imposition sur la fortune. De fait, la Frenchtech est embarquée dans une vague colossale, qui dépasse largement ses frontières. A échelle planétaire, le financement privé de la tech a atteint quelque 500 milliards d’euros en 2021, le double de 2020. L’Europe (en y incluant Israël), a franchi le seuil des 100 milliards pour la première fois, soit 2,5 fois plus qu'en 2020, et les marchés britanniques et allemands ont connu dans ce contexte euphorique la plus forte croissance des levées de fonds. Mais c’est un fait, la France est embarquée dans le mouvement, et dispose de cibles crédibles d’entreprises ayant déjà fait leur preuve sur le marché national et parfois international, concentrant des talents et bénéficiant d’un écosystème de plus en plus performant.
Ce que démontre ce résultat c’est la nouvelle capacité du capitalisme hexagonal à faire émerger et grandir des nouveaux acteurs de la Tech, capables de monter en échelle de se faire en l’espace de quelques années une place de challenger à échelle mondiale et européenne. Notre écosystème a incontestablement gagné en maturité et en qualité. Et cet engouement sur la French tech se concrétise 1/ Par une augmentation du nombre de tours et un accroissement des tickets, adaptés aux besoins des entreprises à leurs différents stades de développement. La vallée de la mort, sur lequel s’échouaient nombre de projets faute d’accès, après un premier tour, aux financements supérieurs à 1 ou 2 millions d’euros n’est plus une fatalité ; 2/ Par l’irruption de megadeal : sur les 13 opérations les plus élevées de l’histoire de la French Tech, 10 ont été annoncées cette année, avec des montants qui commencent à tutoyer ceux des États-Unis à un même stade de développement ; 3/ Par un développement des sorties par introduction en Bourse. Ces dernières ont dépassé 10 milliards en 2021 pour des valorisations de plus d’un milliard d’euros, phénomène nouveau, même s’il demeure insuffisant au regard.
En France, comme ailleurs, ces liquidités ont tendance à se concentrer sur une poignée de start-up surfinancées, sur la base de tickets particulièrement élevés. Des méga-levées impliquant essentiellement des investisseurs extra-européens. Les dix premières opérations en valeur ont ainsi engrangé plus de 3,3 milliards d’euros, soit près du tiers du montant total sur l’année. Les 20 premières opérations, presque la moitié. Avec à la clé 15 licornes supplémentaires, ces entreprises nouvelles valorisées à plus d’un milliard de dollars, ce qui porte leur total à 25, la France devançant très légèrement l’Allemagne et prenant le leadership en Europe continentale, nettement en retrait du Royaume-Uni, il est vrai. Et devançant de quatre ans l’objectif qu’avait fixé Emmanuel Macron à son arrivée au pouvoir.
Ce qui émerge au plan productif en France, ce sont des développeurs de solution sur le net, dans les fintech, les martech, les proptech, le E-commerce, particulièrement dynamiques. C’est du divertissement aussi, avec, cette année, Sorare, en proue des levées de fond, à l’origine d’un jeu mêlant fantasy football et NFTs, qui a réuni 620 millions d’euros en l’espace de quelques mois et pulvérisé le record historique pour une levée française, avec un montant de 580 millions d’euros. L’énumération de nos licornes confirme ce positionnement, de développeurs de solutions et d’usages numériques. Ce sont principalement les sociétés qui s’appuient sur des systèmes d’abonnements qui attirent le plus les investisseurs du fait de la résilience de leur activité pendant la crise et la récurrence de leurs revenus. De l’innovation incrémentale pour résumer les choses. La tech hexagonale, valorise les potentialités des nouvelles technologies, IA, blockchain etc. mais elle ne produit pas ou peu d’innovation de rupture. Derrière les MedTech, c’est doctolib, en interface entre les médecins et les patients qui fait figure de leader en France. Les grands enjeux d’innovation dans la santé, les biotechnologies, l’énergie, l’environnement, les agritech font encore pâle figure. La Frenchtech est encore éloignée du mythe de l’entrepreneur innovateur shumpétérien.
Ce faisant, la France comble son retard et prend sa place dans l’écosystème du net. Une place de second rang certes. Elle n’est pas leader dans les industries pivot de cet écosystème. Mais elle se déploie dans les usages de ces technologies avec des acteurs à ambition mondiale. Tout cela est porté par un emballement financier qui peut inquiéter. Les tours successifs et les survalorisations associées ressemblent parfois à un jeu à la Ponzi, voilant la capacité réelle de ces entreprises à assumer la charge de leur dette. Mais en la matière on le sait d’expérience, l’innovation a besoin de folie financière. La finance trébuche, et parfois trépasse, mais les structures et les innovations elles, demeurent.
Publié le mercredi 12 janvier 2022 . 6 min. 27
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