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Quelle vision du système productif porte aujourd’hui la gauche ? Je parle ici d’une déclinaison qui va du centre gauche, jusqu’aux insoumis et au parti communiste. Sans ignorer les nombreuses lignes de fractures et de dosages entre ces gauches, elles ont néanmoins des points communs : toutes peuvent encore se revendiquer de Jaurès, figure de ralliement du socialisme démocratique. Toutes placent l’équité sociale et l’attachement à l’État providence  au cœur de leur paradigme. Toutes situent le frein de la croissance du côté de la demande plutôt que du côté de l’offre.

Et toutes s’exposent depuis toujours  à la critique récurrente selon laquelle on ne peut redistribuer que de la richesse produite. Lorsque les moteurs endogènes de croissance s’étiolent, l’attrition de la base fiscale engage les économies dans un cercle vicieux dont tout le monde sort perdant au bout du compte.

Focalisée sur la redistribution secondaire, en faisant l’alpha et l’oméga en matière de croissance, peu perméable à la question de la compétitivité, la gauche est-elle vraiment dépourvue d’une doctrine sur l’offre ?

Non. Économie sociale et solidaire, économie de proximité, responsabilité sociale des entreprises, circuits courts, investissement en faveur de la croissance verte, investissement social dans l’éducation et la santé, la gauche peut sur le papier revendiquer un paradigme productif qui lui est propre, porteur de croissance soutenable et inclusive.

Mais ce pointillisme de l’offre est loin de porter une vision synergique du système productif. D’abord, comment l’addition de tous ces embryons d’offre vertueuse, très axés sur ce que l’on appelle l’économie présentielle, c’est-à-dire sur les besoins de la population locale finit elle par faire masse et par emporter l’économie dans son ensemble dans un mouvement endogène de d’innovation et de croissance ? Croire que la bonne entreprise « de gauche » chasse la mauvaise, est une gageure. A l’heure d’aujourd’hui,  les offres alternatives ne se déploient que parce que des larges pans de la demande sont subventionnés ou socialisés et dépendent de la sorte de la création de valeur d’autres secteurs. Elles se développent grâce à l’existence d’un noyau dur productiviste, multinational, exportateur et s’insérant dans les chaines de valeur mondiales. Ensuite, sans l’arme des nationalisations, du protectionnisme ou de la diminution des coûts, sur quoi s’appuie la gauche pour bâtir des bastions de création de valeur protégés par des barrières à l’entrée autres que tarifaires ou réglementaires ? Le carburant primaire de la redistribution donc.

C’est bien là qu’il y a ellipse du côté de la gauche. Et ce n’est pas dans son ADN contrairement à l’a priori. La gauche historique à travers la thématique fondatrice de la collectivisation de l’offre celle des nationalisations ciblées, et la planification,  n’a pu par le passé faire l’impasse sur un véritable projet productif. Les grands chantiers de la restructuration et de la consolidation des champions nationaux a été menée sous le premier septennat de François Mitterrand, avec une multitude de réflexions en amont, véritable corpus d’un « socialisme industriel » pour reprendre la terminologie d’Alain Boublil, alliant des grands patrons, des intellectuels, des syndicalistes. Le redressement de la compétitivité française des années 80-90, s’appuie sur le double levier 1/ de la politique industrielle 2/ du tournant de l’offre opéré en 1982-83.

Faisant l’impasse aujourd’hui sur la problématique productive à l’heure digitale, qui sous-tend  la question décisive de la place du travail, et des conventions de rétribution primaire, la gauche ne dit dès lors plus rien de convainquant sur le cadre qui éviterait la remise en cause d'un demi-siècle de progrès social.


Publié le vendredi 23 novembre 2018 . 4 min. 26

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