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La crise sanitaire dévoile avec une acuité inégalée une de ces contradictions qui sont au cœur de la dynamique capitaliste. Ces contradictions qui font le lit des grandes crises qui ont jalonné son histoire, mais dont le dépassement est aussi le moteur de sa transformation. Elle révèle comme jamais le désire collectif de santé et la priorité des enjeux écologiques dans les préférences des agents. Partout, la protection de la vie humaine a pris le dessus sur la continuité des affaires, et partout l’enjeu environnemental s’est imposé comme moteur de relance.


La contradiction contemporaine réside précisément dans le fait que le désir de biens et de services collectifs n’a jamais été aussi élevé dans nos sociétés, j’ai parlé de santé, d’écologie, mais je pourrais encore parler de sécurité ou d’éducation, de justice etc. au moment même où le consensus fiscal est le plus fragilisé. Fragilisé sur deux plans 1/ une érosion du consentement de la classe moyenne et des plus riches à payer l’impôt et 2/une évanescence des bases fiscales avec la montée des secteurs de l’information, et un risque d’évasion croissant, qui rendent techniquement de plus en plus compliqué le financement par l’impôt. On demande ainsi toujours plus aux États, alors que leur assise financière n’a jamais été aussi faible. Et la résolution de cette impasse trouve son issue dans une explosion des dettes publiques qui interroge sur la soutenabilité du régime.


Les économistes ont prétendu résoudre cette tension à travers une marchandisation des biens collectifs et une privatisation partielle de leur gestion, qui les ferait sortir au moins partiellement du champ de la sphère publique. D’où le glissement de la notion de biens collectifs vers la notion de biens communs : le coût des premiers étant socialisé via les prélèvements obligatoires et leur accès étant gratuit et égalitaire ; les seconds pouvant être soumis à des barrières de prix qui en rentabilise la gestion mais qui différencient leur accès selon les capacités financière des individus.  Il en est ainsi du développement d’assurances ou des prestataires privées dans le domaine de la santé, de la montée des droits universitaires et de l’autonomie de gestion dans l’éducation, de la mise en place de taxes et de péages pour gérer la rareté et la pollution en matière environnementale.


Cette privatisation partielle, offre des opportunités nouvelles de création de valeur dans la sphère marchande, qui sont au cœur de la croissance des dernières décennies dans les économies avancées. Mais cette bascule vers une gestion, un financement privé, et une mise en concurrence favorise la segmentation par gammes et clientèles, qui génèrent de redoutables problèmes d’iniquité et, dans le pire des cas, de barrière à l’accès pour les plus pauvres. Cette évolution bute aujourd’hui sur un problème d’acceptabilité des populations, d’exaspération des classes moyennes déclassées, qui mine la cohésion sociale dans toutes les sociétés développées. Le caractère anti-redistributif des taxes et divers signaux prix en matière d’environnement, bute sur le même écueil.


Et sur le plan de l’efficacité, le bilan est tout aussi calamiteux. Le désir ou le besoin de biens collectifs atteignent de telles proportions aujourd’hui, que les réformes libérales ne parviennent même pas à endiguer la montée de ces dépenses dans les finances publiques. Partout le poids de ces dépenses augmente, sous l’effet 1/ d’une montée  des prix (des médicaments, des équipements, des technologies) et 2/ d’une érosion de la part des circuits de financement public qui demeure très en deçà des promesses des réformes libérales. Cette part demeure prépondérante presque partout. Et le sous-financement de cette demande collective en pleine expansion conduit à des restrictions de coûts d’équipement, de stocks, de personnels et à des déficiences de maillage que la crise sanitaire a mis en relief de façon éclatante. Concernant l’écologie, le bilan est plus désastreux encore : la poursuite du mythe selon lequel la transition écologique pourrait relever d’arbitrages et de financement de marchés, guidés par des taxes punitives bute sur une réalité irréductible. Il faudrait augmenter d’un facteur 5 à 10 les taxes existantes, pour commencer à avoir une prise sur les comportements privés à la hauteur des objectifs climatiques.  Autant dire un objectif intenable pour des gouvernements rivés sur un horizon électoral court, et confrontés à un climat social de plus en plus explosif. Résultat, alors que les gouvernements sont les seuls acteurs qui pourraient impulser de façon coordonnée la transformation écologique, à travers leurs choix d’investissement, de R&D et de consommation, face à l’urgence du compte à rebours du réchauffement climatique, ils ne consacrent qu’une part dérisoire à cet enjeu massif et prioritaire. Ce faisant, ils condamnent la soutenabilité de nos régimes de croissance.


Bref l’Etat n’a jamais été aussi incontournable. L’argent gratuit lui permet certes aujourd’hui de différer l’impasse d’une fiscalité qui s’étiole. Mais cela ne durera qu’un temps. Et sans nouveau pacte fiscal, nos économies contemporaines courent au-devant d’une crise fatale.


Publié le lundi 11 janvier 2021 . 5 min. 42

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