La campagne présidentielle est symptomatique de la panne de notre imaginaire politique. Le débat se polarise maintenant sur deux figures antinomiques : Marine Le Pen, d’un côté, dont tout l’implicite renvoie à la nostalgie d’une grandeur perdue, d’une France sociale, faisant nation. Emmanuel Macron de l’autre, en dépit de son affichage progressiste, d’un abord rassuré et qui se veut rassurant des transformations contemporaines, masque difficilement le déficit de projection qui sous-tend son discours tout entier piégé dans des stéréotypes de consultants. Mais si aucun des deux candidats n’a bâti un projet véritablement désirable, ancré sur les usages des technologies, porteur de rêve, de convivialité et parlant à la part affective de l’électeur, le second, au moins n’hypothèque pas le futur.
Référence au passé
Le lexique de la profession de foi de Marine Le Pen est révélateur de l’indigence de sa représentation. Si l’on se laisse abuser par la surface du propos, sa profession s’ouvre comme un paquet cadeau, ou chacun trouvera son chèque et sa protection, notamment face au parasite étranger. Mais sur la part moins contrôlée de son discours, une autre réalité s’impose. Quand elle se place sur le registre de l’action, c’est à travers l’usage de verbes négatifs, anti-désir : « Rendre », « rétablir », « restaurer »… À eux trois, ces verbes reviennent à 10 reprises, rivalisant avec « défendre », « lutter contre », « supprimer », « refuser », témoignant d’un profond souhait de rétropédalage et d’un imaginaire qui n’a d’autre ancrage que la référence au passé. Quant aux substantifs qui reviennent le plus souvent, sans surprise, ce sont : Français (10 fois), France (8 fois), pays (4 fois), peuple et République (3 fois), l’évocation de la nation, comme un invariant, auréolé de génie et de grandeur, est le seul point de cristallisation du rêve lepéniste. Ce qui installe la projection dans un néant absolu. Nul besoin de chair au futur que l’on veut bâtir, puisque la charge mémorielle de la nation suffit en elle-même à enchanter le discours.
Quand elle doit aborder l’exercice imposé de la transformation climatique, c’est toujours avec le même désir de ne rien changer des comportements. Révélatrice, la question énergétique a été éludée dans sa profession de foi. Et dans son programme, l’écologie c’est un mix électrique 100% nucléaire où l’on déconstruit la principale source renouvelable, les éoliennes, pour des raisons esthétiques. Une écologie a minima, pour que tout demeure presque comme avant, sur la base exclusive de la technologie qui fit la fierté de la France des années 70-80, mais dont on ne sait toujours ni gérer les déchets ni les déconstructions. Et une absurdité totale, il faut bien le dire, qui prive la France d’une option clé au coût maîtrisé. Quand le sage montre le renouvelable décentralisé, Marine Le Pen regarde les pilonnes. Une idiotie aussi énorme, que si, à l’ère de l’électrification, porteuse de confort et d’automatisation domestique et industrielle, nous n’avions regardé que les lignes à haute tension, les barrages et les centrales comme une fin en soi et non les usages.
Une vision du futur trop instrumentale
Le corpus progressiste macronien, désireux d’adaptation aux transformations, est profondément différent. Sa vision du futur n’en reste pas moins trop instrumentale pour susciter l’adhésion. Le registre lexical de sa profession de foi trahit lui aussi la faiblesse de ses représentations. Le verbe « vivre » est de loin celui à plus haute fréquence, trahissant un ancrage d’abord dans le présent, et constituant par essence un non-projet, un minimum minimorum, puisqu’il s’oppose à survivre ou mourir. Le verbe « investir » figure en seconde place néanmoins, dirigé lui vers les horizons futurs. Le texte, il est vrai, est rehaussé de compléments superlatifs : « plus » et « mieux » interviennent 20 fois, contre 3 fois pour Marine Le Pen, en phase avec le progressisme optimiste et incrémental, mais flou du Président. Lorsque l’on bascule dans le champ des substantifs, si le mot « confiance » est de loin celui à plus forte occurrence, du fait de l’usage de l’anaphore « En me faisant confiance », il ne renvoie qu’à la personne du candidat et non à sa projection de l’avenir. Viennent ensuite au second rang avec plus de 5 occurrences : enfants, retraités, travail, frontière… autant dire, loin du progressisme affiché, un registre qui fleure un peu la naphtaline.
Emmanuel Macron n’en est pas moins un chantre des investissements d’avenir, biotechno, avion du futur, numérique et d’une écologie industrialiste, ouverte à toutes les options, du nucléaire, en passant par le renouvelable, l’isolation et l’hydrogène. Mais le futur technologique est seulement abordé sous un angle instrumental. C’est celui de la “Start-up nation” qui fait rêver les marchés, vue comme une promesse de performance, sans jamais que le discours ne soit traversé d’enjeux éthiques ou incarné dans les usages, les convivialités qui se bâtissent sur la base de ces instruments.
Macron tient au moins sa promesse. Il marche, on ne sait pas très bien vers où, mais il marche. Plaçant l’électeur face à une alternative qui ne devrait pas être un dilemme. Régresser de façon certaine ou avancer en marchant sans compromettre le champ des possibles.
Publié le mercredi 20 avril 2022 . 5 min. 40
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d'Olivier Passet
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