Xerfi Canal TV présente l'analyse d'Olivier Passet, directeur des synthèses - Xerfi
L’accélération numérique a fait ressurgir la grande angoisse de l’éviction de l’homme par la machine. Autrement dit du chômage technologique. Puisque c’est tout le contenu cognitif et interactif du travail, dans sa dimension récurrente, mais bien au-delà aussi, qui est menacé par les formidables avancées de l’intelligence artificielle.
Des travaux scientifiques récents ont tenté d’objectiver cette menace, trouvant un large écho dans les médias. Ceux de Frey et d’Osborne notamment, passant au crible 702 métiers aux États-Unis, estiment que près de 47 % des métiers existants aux Etats-Unis seraient susceptibles d’être pris en charge par des machines intelligentes. Répliqués dans d’autres pays, d’Europe du Nord notamment, ou en Israël, ces travaux donnent les ordres de grandeurs tout aussi impressionnants, compris entre 35 et 45 %.
Il ne s’agit pas pour autant, pour ces auteurs de prédire que le volume de travail va diminuer inévitablement de 47 %, laissant sur le tapis l’essentiel de la classe moyenne. Confiant dans le processus de destruction créatrice, ils soulignent que ces tâches, prises en charge par des algorithmes peuvent être remplacées, sans que l’on puisse les lister encore avec précision, par des métiers de perception, de manipulation fine, d’intelligence créative et sociale. De surcroît, le système éducatif peut limiter l’hémorragie, puisque l’on observe une claire relation inverse entre le niveau d’éducation et le risque de substitution par une machine intelligente.
On se dit néanmoins, présenté ainsi, et compte tenu de l’accélération de l’histoire numérique, que la course de vitesse n’est pas gagnée d’avance. Même en étant Schumpeter-maniac, peu de chance que les compétences se réinventent à la vitesse du tsunami destructeur.
Et c’est peut-être là, qu’il faut prendre ses distances avec l’approche de Frey et Osborne aussi bien qu’avec la version édulcorée de la destruction créatrice, dans sa version simplifiée véhiculée par Philippe Aghion par exemple. Une vision binaire, où le vieux, inadapté meurt, et peine à mourir parfois, et est remplacé par du neuf, tout beau, tout productif. Car se dire que 47 % de tout beau, tout neuf, mais tout petit aussi va surgir comme par enchantement, et compenser ce qui disparaît à brève échéance, déclenche nécessairement un certain désarroi.
Commençons d’abord par une petite introspection : le numérique a-t-il jusqu’ici allégé, vidé de sa substance notre métier, ou bien l’a-t-il complexifié et épaissi. Si je me livre à cet exercice pour moi-même et que je raisonne comme Frey et Osborn, je dois me souvenir du temps où la moitié de mon temps était consacré à la saisine manuelle de données. Où la consultation de documents nécessitait l’accès à des bibliothèques physiques. Où les modèles rustiques, laborieusement élaborés, tournaient sur plusieurs jours à base de cartes perforées etc… Je constaterai alors que Frey et Osborn auraient prophétisé le risque de prise en charge à 90% de mon métier par des machines et sa perte de substance. Que s’est-il passé à la place : l’accès aux données numériques a permis d’explorer les choses avec un degré de granularité beaucoup plus fin. La micro-économie et la formalisation mathématique ont pris leur envol etc… bref mon métier s’est déplacé et s’est complexifié par hybridation notamment avec les mathématiques. Je pourrais aussi me référer aux métiers de la finance, premiers touchés par le big bang numérique, et dont le nombre et la complexité ont explosé.
Cherchons l’erreur. Elle est simple. Le numérique ne consiste pas seulement à automatiser le champ cognitif. Le numérique multiplie les possibilités interconnections. Il crée des liens qui permettent d’hybrider les produits comme les métiers. Les métiers ne disparaissent pas nécessairement pour être remplacés, ils se recomposent, s’enrichissent grâce à la data, et s’inventent de nouvelles routines. C’est cela aussi le pouvoir du numérique, celui de mixer les choses, de la même manière que dans le domaine scientifique biologistes et chimistes finissent par accoucher de biochimistes. Certains métiers disparaitront ne le nions pas. Mais la plupart évolueront de façon incrémentale et gagneront plutôt en épaisseur.
Bref, laissons tomber un peu Schumpeter, et rallions nous à Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme…. Et se complexifie
Olivier Passet, Le numérique va-t-il détruire 47% des emplois ?, une vidéo Xerfi Canal TV
Publié le mardi 29 mars 2016 . 5 min. 01
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