Le concours de beauté des présidentielles s’est enfin achevé, avec son lot de promesses. Pourtant cette élection, moins que d’autres encore, ne peut prétendre avoir une portée référendaire sur une plateforme de propositions qui lierait fortement le président élu, puisque le front du refus, polarisé aux extrêmes est majoritaire. On voit dès lors difficilement le prochain quinquennat s’engager tambour battant et rejouer encore une fois la scène de la blitzkrieg réformatrice sur les 100 et 200 premiers jours, comme cela fut le cas avec Nicolas Sarkozy, François Hollande ou lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Il est des moments où l’histoire est trop puissante et impose sa loi. Ce fut le cas de la crise de 2008 qui a percuté de plein fouet et rendu caduc le cahier des charges que s’était assigné Nicolas Sarkozy. Ce fut encore le cas pour François Hollande piégé dans les effets déflationnistes de la crise des dettes souveraines. Ou encore d’Emmanuel Macron transformé en chantre du « quoi qu’il en coûte » avec le Covid et confronté aujourd’hui à une donne géopolitique qui place au premier plan les enjeux stratégiques.
Face aux soubresauts du monde, tout chef d’exécutif, qu’il soit français ou européen, doit d’abord s’atteler à rebâtir une sécurité économique fortement menacée. Etre à la hauteur de l’histoire aujourd’hui, ce n’est pas arracher au forceps une réforme des retraites, du chômage, du RSA ou engager le volet 2 des ordonnances travail, en misant sur un très improbable état de grâce. Paradoxalement, ces réformes incrémentales de marché, aux effets diffus sur la croissance et les comptes publiques paraissent dérisoires au regard des pertes de richesse qu’occasionnerait un mauvais positionnement stratégique de l’appareil productif hexagonal. Le discours, faire les réformes de marché ou décrocher n’est plus audible, pour un temps au moins.
Le défi climatique figure dès lors au premier rang des défis présidentiels, puisque écologie et autonomie énergétique sont maintenant perçues comme deux enjeux indissociables. Que le chancelier allemand soit adepte ou non d’une relance des infrastructures de son pays, il est aujourd’hui dans l’obligation d’investir en urgence dans des terminaux flottants d'importation de gaz naturel liquéfié et de repositionner en profondeur le mix énergétique de son économie. Que le revirement du président en matière de planification écologique soit sincère ou non, c’est d’abord sur ce terrain qu’il sera attendu. La crédibilité présidentielle sera fortement attachée à sa capacité à mettre le même volontarisme dans ce chantier que celui dont il a fait preuve, sur un mode directif et militaire concernant la reconstruction de la flèche de Notre-Dame. Le quinquennat sera écologique ou ne sera pas.
Mais cette planification ne peut s’arrêter aux seuls aspects énergétiques et engage une réflexion plus large sur l’autonomie et la capacité à extraire de la valeur de nos filières. Car ce que met en exergue le conflit ukrainien c’est, de façon plus générale, la vulnérabilité de nos approvisionnements à des matériaux stratégiques qui surexposent nos entreprises à des risques de rationnement et de volatilité extrême des prix. Révolution climatique et digitale ne peuvent plus être des slogans creux. Ils redéfinissent en profondeur nos besoins et exigent a minima une forte coordination en matière de stockage stratégique, de diversification des approvisionnements et de constitution de capacités productives sur le territoire national ou européen. Et il est clair que face à cet enjeu, ce n’est plus la communication clinquante autour d’une startup-nation survalorisée et foisonnant de micro-projets serviciels qui peut faire office de réponse adéquate. Le quinquennat sera stratégique, engagera de grands investissements, ou ne sera pas.
Troisième grand enjeu enfin bâtir un pacte social robuste financièrement. Il est peu probable que la question de l’endettement et de sa soutenabilité soit occultée durant toute la durée du quinquennat. Se posera alors celle de la pertinence du compromis qui s’est insidieusement instauré en France, où la baisse de la fiscalité des entreprises est devenue le principal instrument de reconquête de notre compétitivité-prix et la défiscalisation du travail ou la distribution de chèques celui de la préservation du pouvoir d’achat. Cette double facture pour l’État est profondément déstabilisatrice pour les finances publiques. Elle va de surcroît devenir de moins en moins justifiable si l’enjeu numéro 1 de notre compétitivité est celui de notre bonne spécialisation : celle qui nous dégage d’énergies fossiles coûteuses, celle qui nous positionne sur les segments de valeur stratégiques et en plein essor du digital et du climat. Nous entrons dans une ère de reconstruction et de rattrapage qui relègue au second plan les enjeux de compétitivité prix. Nous entrons aussi dans une ère de pénurie de compétences, où il est de moins en moins justifiable pour l’État de compenser la modération salariale par des chèques. Et c’est dans ce cadre que devra être pensé la réforme des retraites. Non comme la variable d’ajustement d’un France qui investit et se positionne mal, minant sa base fiscale, mais comme une réponse à des besoins réels. Bref, le quinquennat sera celui d’un nouveau paradigme social et productif ou ne sera pas.
Publié le lundi 25 avril 2022 . 5 min. 54
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