Plus de protectionnisme crée-t-il plus de marges pour la protection sociale dans les pays développés ? Nos économies se sont bâties sur un crédo quasi intouchable. L’ouverture des échanges est avantageuse pour tous : elle optimise l’allocation des ressources, et induit plus de gains de productivité donc de croissance et la mise à disposition de produits moins coûteux pour le consommateur. Ce socle de prospérité permet de financer une protection sociale généreuse et réciproquement, une bonne couverture assurantielle, favorise la prise de risque, donc l’innovation dans pays les plus avancés. Dans ce meilleur des mondes, faibles barrières tarifaires et non tarifaires, protection sociale et innovation marchent de concert.
A l’inverse, détricoter ce qui a été fait en matière de libre circulation, des marchandises des capitaux et des hommes, c’est s’exposer à de gros problèmes de renchérissement des produits, de désorganisation de chaines de valeur très internationalisées, et de ralentissement des débouchés externes…Autant dire que les effets récessifs ne peuvent que compliquer l’équation sociale.
Creusement des inégalités
Bref, croire que le protectionnisme pourrait permettre de consolider nos états providence relève de l’illusion. À cela près, que derrière sa fluidité, le raisonnement esquive ne nombreux vrais problèmes bien objectivés à ce jour. 1/ Le caractère plus ou moins faussé du jeu concurrentiel (c’est l’argument principal de Trump face à la Chine). Le jeu est gagnant-gagnant si tout le monde en respecte les règles...sauf que ce n’est pas le cas aujourd’hui, notamment en matière de propriété intellectuelle 2/ Les effets d’agglomération : ces derniers tendent à concentrer géographiquement les avantages des échanges, là où ils ont été déjà bâtis, creusant le fossé entre gagnants et perdants 3/ Certains secteurs « qualifiés de stratégiques » comportent de telles externalités sur l’ensemble du tissu productif que leur perte de contrôle ou leur délocalisation est plus coûteuse que de s’en remettre au meilleur offreur.
Et in fine, ce processus imparfait produit un creusement des inégalités et vulnérabilise certains populations plus que d’autres. Au plan mondial, c’est l’hyper concentration de la rente technologique et financière qui fait que les 1% les plus riches du monde ont capté 27% de la croissance mondiale entre 1980 et 2016. C’est le fait que les personnes comprises entre les 70 et 90èmes centiles, autrement dit les classes populaires et moyennes des pays riches, ont été largement oubliées de la croissance mondiale, comme le montrent les travaux de Branko Milanovic, récemment interrogé par Adrien de Tricornot sur Xerfi Canal. Et au sein des pays développés, c’est le constat que les inégalités primaires ne cessent de se creuser concentrant les gains de la croissance sur les 10% les plus riches.
Des conséquences délétères
Cela a trois conséquences principales. 1/ Les inégalités sont sources d’inefficacité économique et de faible croissance car elles sapent les débouchés intérieurs et la mobilité sociale. Autrement dit, l’idée que l’ouverture c’est forcément plus d’efficacité pour plus de croissance perd de son évidence 2/ Les inégalités primaires alourdissent la facture sociale 3/ L’hyper concentration de la richesse sape le financement de l’État providence puisque c’est précisément en haut de la distribution des revenus que les possibilités d’évitement sont les plus fortes.
Il y a donc bien une légitimité forte à s’interroger sur une redéfinition des règles du jeu international. Pour rééquilibrer, via des barrières tarifaires ou non, les relations faussées avec les pays en situation de dumping fiscal et social ou environnemental. Pour limiter ensuite le pillage de la propriété intellectuelle, si l’on veut que les emplois détruits trouvent une opportunité de se reconstituer à la frontière technologique Pour favoriser enfin la concentration et les rentes, dans certains secteurs stratégiques, au bénéfice de l’accumulation, même si c’est au détriment du consommateur à court terme : par exemple, la maîtrise de la filière des énergies renouvelables, pour gagner une indépendance énergétique. Idem, dans le digital face au risque de tutelle des GAFA et BATX. Il ne s’agit pas d’une hérésie, mais d’un protectionnisme ciblé, qui prend en compte de vraies frictions.
Publié le vendredi 15 février 2019 . 5 min. 06
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