Les marques sont devenues des interfaces névralgiques entre l’entreprise et la société. L’entreprise se voit ainsi contrainte, à travers le prisme de sa marque, de prendre la parole sur des sujets qui ne concernent pas uniquement ou pas directement les produits qu’elle commercialise. Cela oblige l’entreprise à se doter d’une vision, c’est-à-dire un point de vue singulier sur la société et pas uniquement sur l’univers de produits ou le marché. Qu’il s’agisse pour Ikea de nous parler du bonheur à la suédoise ou pour le Crédit Mutuel de vanter les mérites du système coopératif. Ce nouveau pouvoir acquis par les entreprises de parler de la société dans son ensemble confère aux patrons une nouvelle source de légitimité puisque l’on attend d’eux qu’ils s’adressent à différents publics pour parler de sujets culturels, politiques et sociétaux. C’est pourquoi Elon Musk, nouvel entrant sur le marché, ne nous parle guère d’automobile mais abord explicitement la question de la transition énergétique et implicitement celle du transhumanisme. Les patrons renforcent d’autant plus leur autorité en s'engageant dans des controverses publiques. L’objectif est d’enclencher un effet d’entraînement charismatique leur permettant de susciter de l'admiration et l'inspiration chez des millions de d’individus ? Ce tour de passe-passe consiste en fait à transformer des clients ordinaires, voire des non clients en aficionados qui sont susceptibles de promouvoir et de recommander la marque. Cela change donc nécessairement la nature et la fonction de ces patrons. On a longtemps cherché à expliquer le charisme d’un chef par ses qualités individuelles extraordinaires : son physique, son intelligence ou encore sa vision stratégique. Aujourd’hui la question qui se pose à ces patrons n’est plus tant celles des caractéristiques personnelles, que leur capacité à interagir avec différents publics de la marque en suscitant des controverses engageantes.
Il s’agit bien souvent de prendre position sur un sujet de société en proposant un scénario utopique qui contraste fortement avec le scénario dominant. Ce qu’ont très bien compris Steve Jobs avec l’ordinateur et le téléphone, ou Elon Musk avec la voiture électrique et la conquête spatiale. A partir du moment où le scénario proposé rentre en contradiction avec l’idéologie dominante, tous les ingrédients sont réunis pour susciter une controverse permettant au patron de montrer que le scénario qu’il propose représente une alternative à la fois enviable et crédible. C’est pourquoi son scénario alternatif doit prendre les atours d’une utopie réaliste. Cette stratégie induit nécessairement une prise de risque, mais elle est la condition sine qua non pour produire ce nouveau type de légitimité charismatique ? Celle dont manquent tellement de marques qu’elles sont obligées de s’offrir les services dispendieux d’égéries ou d’influenceurs. La bonne nouvelle dans toute cette histoire c’est que ce changement de profil des patrons de marque appelle sans nul doute le retour d’une vertu dont on a pu craindre qu’elle avait disparu de la sphère publique : le courage.
Publié le jeudi 10 février 2022 . 3 min. 41
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de Benoît Heilbrunn
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