N’êtes-vous pas exaspéré par toutes ces marques et toutes ces personnes qui se revendiquent cool ? Comme si la coolitude était devenu le nouveau graal, sans que l’on sache vraiment ce que signifie cette notion passe partout. Le cool est devenue en 50 ans un mythe envahissant de la société de consommation, c’est-à-dire une valeur culturelle qui se fait passer pour naturelle, évidente. C’est d’ailleurs à l’origine une valeur issue de la contre-culture des années 60 (le fameux hippie et son air baba cool) qui a été avalé par le capitalisme pour en devenir une valeur structurante. Le cool est une forme de libertarisme soft qui essaie de conjuguer les valeurs du libéralisme, du vivre ensemble et de l’entrepreneuriat. Cette idéologie est à l’image d’un monde sans complexe qui a compris les vertus de l’amoralisme propre à l’histoire du libéralisme. Un monde coolifié est un monde dans lequel on peut rire de tout et de tous sans complexe car il n’y a plus en apparence de cadre moral.
Mais il faut se rappeler que le cool est à l’origine une notion politique liée à la résistance des esclaves noirs. Il s’agit à l’époque de répondre à la violence du dominant par une attitude d’amortissement de cette violence. Le cool est donc à l’origine un acte de défense (une contre violence en quelque sorte) qui s’est développée à une époque où tout acte de violence physique exercé par des Noirs était passible de la peine capitale. Dans ce contexte comment résister à l’oppression et à la violence, si ce n’est par une attitude de relâchement du corps et de détachement émotionnel qui a pour objet d’anesthésier l’agresseur ? La cool est donc à l’origine un acte de provocation dont on a retiré toute forme explicite d’agressivité. C’est une forme de contre agression implicite qui n’a rien d’une zénitude, loin s’en faut !
Le cool est profondément paradoxal car il induit à la fois la soumission et la subversion. C’est une stratégie classique de résistante à l’autorité qui s’appuie sur la créativité et l’innovation. C’est pour cela que l’avènement du cool dans une société mondialisée va de pair avec l’idée que tout individu est un artiste en puissance (la fameuse artialisation du consommateur propre à l’économie de l’expérience). Le cool est une valeur dominante qui juxtapose des états émotionnels contradictoires qui sont l’anxiété, la confusion, l’apparente satisfaction. Mais le cool caractérise surtout un ordre social empreint d’anomie, c’est-à-dire une société dans laquelle les normes tendent à disparaître. Le cool est évidemment la caractéristique d’une société liquide qui n’assigne plus rien ni personne à une place fixe et dans laquelle les identités sont changeantes, multiples et négociables comme l’avait prédit le grand sociologue Zygmunt Bauman. Le cool signe la disparition de la substance et même de la réalité car il s’agit de s’échapper en permanence d’un monde qui est perçu comme trop violent. Dans une société régie par le cool, Il ne s’agit plus de faire ou d’accomplir mais d’apparaître, ce qui est le propre d’une société obsédée par les images.
Il n’y a pas proprement parler d’école philosophique du cool, mais disons que celle qui s’en rapprocherait le plus serait peut-être le stoïcisme. Autrement dit, le cool serait une forme gélatineuse d’un stoïcisme dégradé dans une société liquide et démoralisée. On peut en effet esquisser un parallèle entre les principes du cool et l’idée stoïcienne selon laquelle il faut ne se préoccuper dans l’existence que des choses qui dépendent de nous et se détacher de celles qui n’en dépendent pas. On retrouve dans l’idéologie du cool cette sorte de fatalisme qui caractérise le stoïcisme. Le cool ne serait finalement que l’emblème le plus visible d’un stoïcisme de pacotille dont la feelgooditude semble être l’horizon indépassable.
Publié le lundi 21 septembre 2020 . 4 min. 01
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de Benoît Heilbrunn
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