Selon la théorie dominante en matière de leadership, le monde du travail se séparerait donc entre les leaders d’un côté, et de l’autre les followers. Les héros au-dessus, en-dessous les suiveurs, chacun d’entre nous devant se situer dans une sphère supérieure ou inférieure. Comment est-il possible qu’une vision à ce point manichéenne se soit si facilement imposée dans ce domaine, parfois controversé, de la recherche scientifique?
Pour une raison simple: qu’il s’agit-là d’une théorie implicite de la réussite d’une entreprise collective, d’une équipe, d’une armée, d’une nation ou d’une organisation, très facile à comprendre. Si je prononce le nom de « Steve Jobs » chacun sait que j’évoque ici « l’âme » en quelque sorte de la société Apple. Idem avec Jack Welsh et General Electric. Pour expliquer la croissance du groupe LVMH, la voie la plus courte serait en effet de décrire les traits de caractère et le style de management de Bernard Arnault et ainsi, sans grand effort d’analyse, l’essentiel aura été dit sur les raisons du succès.
Le leader serait donc celui ou celle qui perçoit les raisons d’être d’une organisation mieux que personne : il est à la fois doté d’une capacité politique pour convaincre, une capacité esthétique pour frapper les esprits et persuader, des qualités éthiques pour exemplifier, bref il est une sorte de performer qui fait corps avec les idées du moment, qui exprime ce que chacun veut sans savoir le dire, quelqu’un d’autonome aussi, au sens kantien, c’est-à-dire qui se donne à lui même ses propres lois.
Le problème ici c’est que cette qualification héroïque de l’exercice du pouvoir est dépendante de la théorie du Grand Homme et de son supposé charisme, sa posture, sa vision et son art du commandement. Or cette théorie est heureusement discutée par des chercheurs qui à l’inverse défendent une conception du leadership post-héroïque, laissant davantage de place au dissensus et favorisant la disponibilité, la délibération, la communication et la proximité : il utilisent alors des termes comme le leadership partagé, le leadership distribué ou encore le leadership par invitation. Ils prennent en compte en particulier les attentes des nouvelles générations qui ne sont guère demandeuses d’un relation de pouvoir verticale, autoritaire et top-down.
Le problème du leadership se corse un peu plus lorsque l’on comprend qu’en réalité les deux perspectives ne s’opposent pas toujours : plusieurs études récentes publiées dans la revue Leadership justement, mettent en évidence que les salariés tendent en réalité à appeler de leurs vœux une pratique qui combinent ces deux perspectives, qui privilégie donc alternativement la délégation et la direction, la proximité et la distance.
Pour tenter d’y comprendre quelque chose, cette fois encore la philosophie peut constituer une alliée de choc, car cette question y est largement traitée. Par Hobbes, pour qui le leadership est au cœur du contrat social, par Machiavel en ce que le leadership correspond d’abord à l’exercice de se qu’il appelle la virtou, mais aussi Gracian, Clauzewitz et tant d’autant. Il faut se rappeler en particulier qu’Aristote fut le précepteur d’Alexandre comme s’en souvient Pascal dans une pensée pour, si les philosophes écrivent des livres c’est « comme pour régler un hôpital de fous ; et s’ils ont fait semblant d’en parler comme d’une grande chose, c’est qu’ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensaient être rois et empereurs. Ils entraient dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu’il se pouvait. »
Publié le mercredi 11 mai 2016 . 3 min. 32
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