L’entre-soi : nous connaissons tout cela très bien depuis que nous sommes tout petits : les frères et sœurs, les cousins, les filles avec les filles, les garçons avec les garçons…
C’est une tendance innée, ce qui peut expliquer la chose mais en rien ne la justifier, car l’entre-soi est source de très nombreuses souffrances et de très grands dysfonctionnements.
L’entre-soi désigne une situation où des personnes choisissent de vivre dans leur microcosme, en évitant ceux ou celles qui n’en font pas partie.
On en identifie deux causes :
- Le sentiment de supériorité d’un groupe : les grands bourgeois, les diplômés d’une grande école, les membres d’une congrégation, l’élite, les happy few …
- Le sentiment d’être opprimés, discriminés qui amènent à se regrouper pour se réconforter et se protéger : ce sont les femmes, les groupes ethniques minoritaires, les LGBT …
Cet entre-soi correspond souvent à des périmètres physiques, beaucoup d’études ont été faites de ces lieux, assignés ou choisis. On peut citer les « ghettos du gotha » de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot en 2007, ou « la face cachée de Harvard », une enquête de Stéphanie Gousset-Charrière en 2012.
En revanche, le regard porté sur ces deux types d’entre-soi est très différent : les premiers groupes sont admirés, jalousés, enviés et suscitent l’envie, et le projet de les rejoindre. Les second sont taxés de « repli identitaire » et méprisés, raillés, critiqués. Les deux ont en commun de ne pas laisser indifférents.
L’entre-soi, c’est le clan, la famille, l’homogénéité, le lien indéfectible, qui fait que toute personne étrangère est suspecte, et très vite rejetée.
Dans l’entre-soi, la régulation se fait par la dépendance à l’autre et ceci dès l’entrée dans le groupe qui ne peut se faire que par filiation, cooptation, parrainage. Pour être entre-soi, il faut accepter des règles non dites, et donc transmises comme par imprégnation.
Dans l’entre-soi, on abandonne l’idée de sortir du groupe, de la logique de compétences, on renonce à la créativité que donne la diversité. L’entre-soi génère aussi beaucoup de souffrances, pour ceux et celles qui restent exclus et même pour ceux qui arrivent à entrer dans le groupe, car ils souffrent alors du syndrome de l’imposteur. Ils ne sont pas vraiment de la « famille » et le savent.
On pourrait penser qu’avec les nouvelles formes de management, et la prise en compte de la notion de responsabilité sociétale, d’inclusion, tout cela est caduque. Mais c’est loin d’être le cas.
J’en veux pour preuve deux études récentes :
- La première a été menée par le cabinet Oasys Consultants en 2018 auprès de 130 cabinets de recrutement qui déclarent que 72 % des clients préfèrent un clone dans plus de la moitié des missions, c’est-à-dire un candidat qui a les mêmes caractéristiques (formation, métier, sexe, âge…) que son prédécesseur. Pourquoi ? Parce que : « les clones rassurent » !
- Une autre analyse récente : celle du philosophe Thibaud Brière qui montre dans « Le groupe Hervé ou les ambivalences de la vertu », que les entreprises « libérées » sont un terreau particulièrement fertile au développement de l’entre-soi. L’absence de management laisse la place à des regroupements purement affinitaires qui se forgent sur l’exclusion.
Il faut donc exercer une grande vigilance, d’autant plus que la mise en place forcée du télétravail facilite, de façon paradoxale, mais bien réelle ces phénomènes de regroupement entre-soi et leur miroir, le rejet, tellement il est simple de nouer et de dénouer des liens relationnels quand ils sont digitaux.
La sociologue Danièle Linhart pointe le risque en nous disant : « L’emprise va s’exercer d’une manière différente que j’analyse comme sectaire (…). Les salariés se transforment en followers de la vision de leur leader ».
Quoi de plus représentatif de l’entre-soi qu’une secte ? Mais un manager n’est pas un gourou, son devoir est avant tout d’exercer un leadership inclusif ! En 2021, ce n’est juste pas négociable !
Publié le jeudi 29 avril 2021 . 4 min. 38
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