Comment les traitres font tomber les cartels
Publié le mardi 4 juillet 2017 . 3 min. 27
Connaissez-vous le point commun entre les cartels de l’acier, de la farine, des produits laitiers, et des lessives ? Ils ont tous été démantelés grâce à un programme de clémence. Mais alors, qu’est-ce qu’un programme de clémence ? Eh bien, il s’agit d’un outil, mis en place par les autorités de concurrence, qui accorde l’immunité à une entreprise si elle dénonce le cartel auquel elle participe. Dans la pratique, il prévoit aussi une réduction des sanctions pour les entreprises dénoncées qui coopèrent par la suite.
Les objectifs d’un tel programme sont clairs : il s’agit de mieux détecter les cartels existants, accélérer la collecte de preuves, et dissuader la formation de nouveaux cartels. Et ça marche ! Car, si cette prime à la dénonciation s’est révélée une arme mortelle pour les cartels, c’est parce qu’elle repose sur un mécanisme célèbre tiré de la théorie des jeux : le dilemme du prisonnier. En voici le principe.
Supposons 2 entreprises A et B suspectées d’entente anticoncurrentielle par les autorités. Mais le gendarme de la concurrence ne dispose pas de preuves suffisantes pour les sanctionner. Il a absolument besoin de l’aveu d'au moins un des suspects. Pour tenter de l’obtenir, il va les isoler dans 2 salles, sans possibilité de communication vers l’extérieur. Puis il va proposer à l’un comme à l’autre ce marché : « Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu obtiendras l’immunité et lui écopera d’une amende de 100 millions d'euros. Si vous vous dénoncez mutuellement, vous serez tous deux sanctionnés à hauteur de 50 millions d'euros. Et si vous restez fidèles l’un envers l’autre, l’amende ne sera que de 10 millions d'euros chacun. » En toute logique, A et B ont collectivement intérêt à ne pas se dénoncer. Comme le montre le tableau, c’est l’option qui minimise leurs pertes et qui ne dégrade pas leurs relations.
Le problème, c’est que ni A, ni B ne peut être certain de la fidélité de son complice. Car, si j'étais à la place de A, voici le calcul que je ferais :
- Si B me dénonce, je peux rester fidèle et je devrai payer 100M€ ; ou je peux le dénoncer également pour réduire ma sanction à 50M€.
- Si B ne me dénonce pas, je peux lui être fidèle également et payer 10M€ ; ou je peux le dénoncer quand même pour obtenir l’immunité.
Ce que l’on constate, c’est que dans un cas comme dans l’autre, j'ai individuellement intérêt à dénoncer mon complice, même si c'est au détriment de l’intérêt collectif. Je vais chercher à être le premier à trahir les autres, pour éviter toute sanction.
La médaille a quand même un revers : le délateur devra composer avec une réputation de traitre qui ne favorisera pas les alliances futures. Quant à la morale de l’histoire que ne renierait pas Voltaire, c’est qu’à la guerre comme en stratégie d’entreprise, il faut avant tout se garder de ses amis.
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de Julien Pillot
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