L’année 2023 aura été celle de l’accélération de l’intelligence artificielle (IA). L’irruption de l’IA générative a produit un électrochoc sur les organisations, une prise de conscience que son adoption ne pouvait plus être différée. Cette dernière n’est certes que la face émergée d’une révolution bien plus profonde, qui s’inscrit dans la durée, mais avec OpenAI et toutes les autres interfaces qui ont surgi, c’est la possibilité d’une adoption généralisée, friendly, qui a saisi le système productif. Toute une série de fonctionnalités sont à portée de main, à faible coût d’entrée. Et le fait que ce soit le langage, sans barrière de nationalité, qui soit au cœur de cette révolution, est lourd de conséquences, car toutes nos organisations doivent leur dextérité aujourd’hui au fait qu’elles soient communicantes et apprenantes. Elles ont depuis deux décennies pris conscience qu’elles sont un vivier d’informations, qu’elles soient publiques ou privées, et que l’exploitation de cette ressource est le nerf de la guerre concurrentielle.
Un défi pour les métiers de la connaissance
La grande nouveauté de cette innovation, c’est qu’elle impacte en premier lieu les métiers de la connaissance, ceux précisément qui se bâtissaient une rente sur des qualifications difficilement imitables, sur des talents non reproductibles. Or l’IA a considérablement réduit et banalisé cet espace. Ce sont les métiers scientifiques, les fonctions managériales, stratégiques, les métiers du conseil, le marketing qui sont défiés par des outils qui sur certains plans surpassent l’intelligence humaine. D’abord par leur capacité à ingérer, à sélectionner, structurer une quantité d’information qui dépasse ce que permettent la mémoire et les sens humains. Il ne s’agit pas ici de rentrer dans le débat de la mise en compétition de l’intelligence numérique et de l’intelligence humaine. Oui, l’affect, l’imaginaire, la sérendipité, propre à l’homme, lui préservent un espace où il peut se déployer sans être rivalisé par la machine ; oui, la machine doit encore être supervisée ; en amont, l’intentionnalité humaine ne peut être déléguée à la machine ; et en aval, le résultat, issu d’une boîte noire et d’un métabolisme qui échappe en partie à ses concepteurs doit être contrôlé. Et il existe toute une série de freins juridiques, en termes de certification, de propriété des données, d’éthique qui limitent le déploiement de l’IA. Mais il devient trop réducteur d’opposer les tâches intellectuelles répétitives, que la machine aurait vocation à alléger, assistant les métiers de la connaissance sans les supplanter, à la créativité qui serait sans rival. L’IA elle aussi devient créative ne serait-ce que parce qu’elle est capable d’explorer des champs de corrélations bien plus vastes que ce que permettaient les outils numériques jusqu’à aujourd’hui, et de décloisonner les domaines de la connaissance, au-delà de nos fonctionnements en silo. Suggérant des solutions, dans le domaine médical par exemple, ou de nouveaux espaces de déploiement des arts.
Le risque d’une révolution IA contreproductive pour les entreprises
L’IA ne limite pas bien sûr son impact aux professions les plus qualifiées. Dès lors que les robots gagnent en autonomie et capacité de dialogue et d’interaction, les professions manuelles sont elles aussi exposées à un risque de tsunami. Et toutes les activités, qu’elles soient de service ou industrielles, doivent repenser leur processus. Jusqu’où et à quelle vitesse ira cette remise en cause ?
L’impact des révolutions technologiques, on le sait, est souvent fantasmé, et les organisations humaines n’exploitent qu’une très faible part de leurs potentialités. Pourquoi ? Parce qu’elles demeurent traversées par des intérêts puissants et des instincts de conservation têtus qui neutralisent les potentialités des technologies. Elles demeurent notamment très largement dominées par la dualité entre les professions intellectuelles de management, de conception, de conseil et les métiers d’exécution. Or, les premières sont pour la première fois questionnées par le remplacement par la machine. À cela près que contrairement aux métiers d’exécution, elles sont à la fois joueurs et arbitres de cette révolution. Elles ont toujours pensé jusqu’ici l’efficacité des autres, et se sont épaissies par connivence de réseau, sans questionner leur propre efficacité et utilité sociale. Cela ne changera pas. Avec un risque important que la révolution IA soit dévoyée, pour épaissir toujours plus le bataillon des bullshit jobs, dans une inflation de communication, une débauche de prestations externes coûteuses, de solutions gadget, de reporting toujours plus intrusifs. De fait, le risque que l’IA ankylose les organisations, plutôt que de les optimiser ou les fluidifier, est important. C’est précisément parce que la révolution IA bouscule au premier chef ceux qui ont entre leurs mains les choix stratégiques des organisations, que son impact sur la productivité demeure une grande inconnue.
Publié le mercredi 24 avril 2024 . 5 min. 01
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