Comment expliquer que, malgré la prolifération d’experts en stratégie, optimisation et gestion, face à la prolifération de la digitalisation, la productivité horaire en Europe semble stagner, parfois à décliner ? Alors que les entreprises sont surveillées de près par des actionnaires exigeants et que la menace des fonds activistes plane sur les plus grandes entreprises, l’amélioration des marges n’a été permise que par une aubaine inflationniste. Ce paradoxe cache une vérité dérangeante : l'excès de gestion ne mène plus à l'efficacité, mais à une bureaucratisation inefficace des organisations.
Une explication vient de la sociologie des organisations, et de l’explosion de la bureaucratie managériale. Les élites managériales tendraient à privilégier des structures de plus en plus complexes et hiérarchisées pour maintenir leur propre pouvoir et légitimité. Tous ces reportings, réunions, comités, expertises, contrôles, visio-conférences sont-ils vraiment utiles ? Au début du XXème siècle, l’économiste Veblen critiquait déjà cette prolifération bureaucratique qui absorbe des ressources sans créer de valeur ajoutée. Cette tendance à la « gestion pour la gestion » conduit à un gonflement des tâches administratives, souvent sans rapport avec l’activité productive centrale.
Cette inflation bureaucratique ne fait pas qu’entraver la productivité, elle réoriente aussi les objectifs des entreprises. En France, par exemple, la multiplication des cadres et experts techniques, censés apporter un avantage compétitif, ne se traduit que rarement par des gains concrets en termes de performance économique. L’effet de ces couches supplémentaires de gestion est souvent contre-productif, conduisant à une diminution de la productivité des secteurs où les services techniques et administratifs deviennent dominants.
Un autre aspect de cette dynamique réside dans l’auto-légitimation des élites managériales. Elles prolifèrent non pas pour améliorer l’efficacité des organisations, mais pour absorber une part croissante de la valeur générée par celles-ci. En s'imposant comme incontournables, elles ajoutent des niveaux de complexité et de contrôle qui freinent l’agilité des entreprises. Keynes avait prédit que les avancées technologiques permettraient de réduire le temps de travail hebdomadaire à 15 heures. Pourtant, nous assistons aujourd'hui à une augmentation des heures consacrées à des tâches bureaucratiques, plutôt qu'à l'optimisation du travail réel.
En Allemagne, cette tendance est particulièrement marquée dans les services à haute valeur ajoutée, comme le conseil ou l’ingénierie, où la productivité a stagné au cours des dernières années. Cela s'explique en partie par le poids croissant des processus internes et des contrôles qui ralentissent la prise de décision et étouffent l'innovation.
Face à ces constats, une question se pose : avons-nous atteint les limites de l’efficacité managériale ? Les élites gestionnaires, en cherchant à justifier leur propre existence, pourraient bien être devenues un frein à la productivité globale. Peut-être est-il temps de repenser fondamentalement notre approche du travail et de la production. En américanisant nos systèmes de gestion, nous avons sans doute aussi hérité des faiblesses du modèle. Dès lors, on peut s’interroger : et si, pour relancer la productivité, il fallait commencer par réduire le poids de ceux qui sont censés l’optimiser ?
Publié le jeudi 10 octobre 2024 . 4 min. 01
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de Philippe Gattet




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