Pour la première fois depuis 2016, l’inflation est passée en territoire négatif en août dernier en zone euro et septembre a consolidé la tendance. Quant à l’inflation sous-jacente (c’est-à-dire hors alimentaire, énergie et prix administrés) qui permet de déterminer les tendances de long terme, elle est descendue à 0,2%. C’est historique. Elle n’a jamais été aussi basse depuis janvier 1991, date du début de la série. S’il ne s’agit pas, pour l’instant, de déflation proprement dit - définie comme une baisse générale et durable, c’est-à-dire auto-entretenue des prix -, il n’en demeure pas moins que le spectre d’une spirale négative des prix fait son retour.
Des forces déflationnistes existaient déjà
Ces forces déflationnistes étaient déjà à l’œuvre avant la crise de la Covid-19. D’un régime de hausse de 2,6% dans les années 90, l’inflation sous-jacente a progressivement ralenti pour tomber à moins de 2% dans les années 2000 pour terminer à environ 1% en moyenne depuis 2010. Les éléments explicatifs de l’aplatissement de la courbe des prix sont nombreux :
- la globalisation des échanges et l’internationalisation des chaînes de valeur avec le nivellement des coûts de production par le bas au niveau mondial ;
- l’ouverture de la concurrence aux pays à faibles coûts qui a attisé la guerre des prix ;
- la faiblesse des débouchés induite par une préférence accrue pour l’épargne (liée au vieillissement de la population notamment) ;
- les conséquences sur les rémunérations du morcellement de l’emploi et de la perte de pouvoir des syndicats dans les négociations salariales ;
- et enfin, la montée de l’économie des services, beaucoup moins confrontés à des goulots d’étranglement physiques que l’industrie.
L’inquiétude des consommateurs bouscule distributeurs et producteurs
La crise de la Covid-19 survient dans ce contexte. Et ce double choc simultané d’offre et de demande va renforcer ces tendances et en créer d’autres. La sortie de crise s’annonce d’abord beaucoup plus laborieuse qu’anticipée.
Les ménages notamment font de la rétention. Les mesures de soutien aux revenus mises en place un peu partout en Europe se sont transformées en épargne. Epargne forcée le temps des confinements, épargne de précaution ensuite. Bilan : plus quart des revenus des ménages des quatre principales économies eurolandaises a été thésaurisé au 2ème trimestre. La persistance des problèmes d’accès à l’offre, les inquiétudes des ménages sur l’état à venir de leurs finances rend le contexte fortement anxiogène peu propice à faire des achats importants. Après avoir complétement dévissé, le solde d’opinions correspondant s’est redressé, mais la remontée est partielle et s’est stoppée nette en septembre. En revanche, les Européens sont de plus en plus nombreux à vouloir renforcer leur épargne. Le déficit de consommation n’est donc pas près de se résorber, d’autant plus qu’anticipant les baisses de prix les ménages sont pousser à reporter leurs achats.
Pour les distributeurs, cela signifie une chose : la course aux parts de marché, la guerre des prix avec toutes ses conséquences en cascades pour l’amont, un amont en surcapacité. Après avoir touché un plus bas historique au 2ème trimestre, le taux d’utilisation des capacités de production industrielle a certes rebondi les 3 mois suivants, mais il reste inférieur de près de 9 points à sa moyenne de long terme. Les surcapacités sont énormes et entraînent de fortes pressions sur les prix.
Les entreprises zombies minent la concurrence
Un schéma simplifié se dessine peu à peu. La baisse de la demande entraîne celle des prix. Anticipant de futures baisses, les ménages ont tendance à reporter leurs achats, et les entreprises leurs investissements. L’activité baisse, le chômage augmente et les craintes autour de l’emploi aussi et font pression sur les salaires qui alimentent la baisse des prix.
Avec cette fois-ci une nouveauté ou plutôt le renforcement d’une tendance émergente : la zombification de l’économie qui supprime quasiment l’une des rares possibilités de sortir de cette spirale, celle de la purge des surcapacités via la destruction d’une partie du tissu productif. Les entreprises zombies, qui devraient en réalité être en faillite, sont artificiellement maintenues en vie par les banques qui acceptent de continuer à leur prêter de l’argent à des taux planchers. Un soutien abusif, un espace pris par les entreprises zombies qui mine la concurrence et font pression sur les autres entreprises qui sont rentables. Prises au piège, elles sont contraintes de baisser leurs prix, sacrifier leurs marges, des marges pour investir et embaucher. Et c’est cet élément nouveau qui pourrait bien faire basculer la zone euro de forces déflationnistes vers la déflation.
Publié le mardi 27 octobre 2020 . 4 min. 13
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