Taxer les robots. Cette idée lancée par Benoît Hamon, et cautionnée par Bill Gates, est loin de faire l’unanimité. Elle a pourtant sa logique et mérite qu’on s’y attarde, afin de comprendre d’abord le jeu d’hypothèse qui fonde sa pertinence…. Puis, le cas échéant, sa faisabilité.
Tout repose sur l’hypothèse de substitution sans déversement
Le raisonnement paraît imparable à la base. Puisque le robot se substitue à vitesse accélérée à l’homme, aussi bien pour les tâches physiques qu’intellectuelles, la part des revenus du capital va s’accroître dans la richesse nationale. Et c’est sur cette composante en croissance qu’il faut asseoir nos cotisations demain, si l’on veut continuer à financer la protection sociale et irriguer le circuit de la consommation. Sinon, cette rente technologique va être captée par une poignée de détenteurs de capitaux, qui la sous-consommeront.
Hypothèse forte, donc, le robot se substitue à l’homme, et atrophie la quantité de travail mobilisée par les économies. C’est sur cette hypothèse de substitution que tout repose. Et plus que cela, de substitution sans déversement sur de nouveaux métiers. Or, on le sait, le sujet est débattu.
Ce qui se dessine tend à valider cette hypothèse
Pour certains, cette révolution est d’un ordre particulier. Si l’on prend une acception large du robot, en y intégrant les robots industriels, l’imprimante 3D, les machines intelligentes et autonomes, mais aussi tout ce qui relève de l’intelligence artificielle (tous ces algorithmes qui prennent en charge les capacités cognitives de l’individu), un volume considérable d’emploi est voué à disparaître, sans véritable relève : les chauffeurs, les emplois de maintenance, la plupart des métiers administratifs ou de contrôle, etc. Et même si l’on sait que le numérique crée aussi son lot de logisticiens, d’informaticiens etc., difficile d’entrevoir aujourd’hui un jeu à somme nul ou positif de destruction-créatrice.
Quant aux emplois traditionnels de déversement, dans les services à la personne notamment, ils sont eux-mêmes susceptibles d’être demain automatisés. Et ce qui se dessine sous nos yeux semble plutôt donner raison aux tenants de cette version 1/ La part des revenus du capital tend plutôt à augmenter dans nos économies développées. 2/ les emplois de déversement demeurent mais tendent à se dégrader. Leur faible capacité contributive complique le financement de la protection sociale et promet de nouvelles poches de pauvreté, notamment au moment de la retraite.
Un pari sur le sens de l’histoire
Il n’en reste pas moins que les raisons qui peuvent expliquer la déformation de la valeur ajoutée en faveur du capital sont multiples. Et qu’une erreur d’interprétation peut être fatale. Nombre d’économistes continuent à penser que cette révolution ne diffère pas des précédentes. Elle génère des gains de productivité dans les secteurs qui s’automatisent, participe à la baisse des prix et libère du pouvoir d’achat, ce qui permet un redéploiement de la demande et de l’emploi vers de nouveaux services. Dans ce cas, taxer les robots ralentit les gains de productivité et le redéploiement des activités vers de nouveaux métiers. Robotisation et emploi sont pris dans une relation de complémentarité. Freiner l’un, c’est freiner l’autre.
Taxer les robots, c’est un pari, en somme, sur le sens de l’histoire.
Mais quelle assiette ? Quelle base de calcul ?
S’ajoute ensuite la question de la faisabilité. Car ce n’est pas tout d’avoir raison sur le fond. Il faut savoir aussi mettre en œuvre cette idée. Avec plusieurs niveaux de difficulté.
D’abord celle de l’assiette. Que met-on sous l’appellation contrôlée robot ? S’il ne s’agit que des robots industriels, on passe à côté de l’essentiel : des ordinateurs, des logiciels, des algorithmes, de toutes les formes de machines intelligentes qui prennent la relève de l’homme.
Faut-il ensuite taxer les robots en tant que tel ? Problème, leur prix ne cesse de décroître. Ou bien les revenus qu’ils génèrent ? Mais comment les individualiser dans une économie en réseau, où tous les facteurs sont interdépendants ? Adosser les cotisations à la valeur ajoutée, de sorte à rétablir une neutralité entre tous les facteurs de production, paraît de ce point de vue la piste la plus prometteuse et celle qui de surcroît limite les risques d’optimisation et d’évasion fiscale.
Et reste enfin la sempiternelle question : comment conduire aujourd’hui une réforme, même pertinente dans ses principes, dans un seul pays. La concurrence est là. La France est plutôt moins bien dotée que d’autres pays en robots. Peut-elle seule orienter le fil de l’histoire, sans s’exposer à de redoutables problèmes de compétitivité et d’attractivité ?
Bref, l’idée est peut-être bonne, mais elle a besoin d’une expérimentation dans un pays déjà richement doté en robots, et à la démographie déclinante… Le Japon, plutôt que la France en somme.
Olivier Passet, Faut-il taxer les robots ?, une vidéo Xerfi Canal TV.
Publié le mercredi 15 mars 2017 . 5 min. 11
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