Les entreprises sont résilientes dans la crise. Mais jusqu’à quand ? Elles ont subi un choc massif sur les prix des matières premières, notamment énergétiques, qui a largement pénétré les prix de production industriels hors énergie, autrement dit le reste de leurs intrants matériels. Et les données s’arrêtant au premier trimestre sur les services BtoB montrent que ces derniers sont à leur tour engagés dans un cycle de hausse. C’est donc toute la chaine des coûts d’approvisionnement et de sous-traitance en amont qui est sous pression.
Et c’est maintenant l’autre étage des coûts d’exploitation qui s’allume. Celui des salaires. L’inflexion est déjà palpable depuis la fin de 2021, portant la trace des hausses successives du SMIC en octobre (2,2%), puis en janvier (0,9%), le mouvement devant s’accélérer ce trimestre avec la nouvelle majoration 2,65% du salaire minimum depuis le 1er mai. Avec in fine une hausse de 5,6% sur un an des plus bas salaires. Si les entreprises pouvaient encore miser sur une rechute de l’inflation au second semestre, qui tempèrerait les revendications salariales en fin d’année, cette perspective s’éloigne. Elles se retrouvent donc prises en étau, entre des perspectives d’activité qui vacillent et des coûts qui s’alourdissent dangereusement.
Les projets d’investissement résistent
Dans un tel contexte, que le climat des affaires se dégrade n’a rien d’étonnant. Ce qui l’est plus, c’est son degré de résistance à haut niveau. Ce qui l’est plus encore, c’est que les perspectives d’embauche ne sont encore que très peu altérées par ce contexte anxiogène aussi bien dans l’industrie que dans les services. Comme en témoignent aussi les difficultés de recrutement qui ne faiblissent pas.
La dernière enquête, menée par Xerfi auprès des dirigeants d’entreprise au cours de la deuxième quinzaine de mai, fournit des clefs de compréhension de ce qui pourrait apparaitre comme un paradoxe, voire une forme d’inconscience des entreprises. Elle confirme bien leur résistance face à l’épisode qu’elles traversent. Résultat particulièrement frappant : 83 % des entreprises maintiennent dans leur intégralité les projets d’investissement envisagés en début d’année en dépit de la crise ukrainienne. Seules 3% renoncent à des projets (une proportion qui tombe à 0,8% pour les entreprises de plus de 250 salariés), chiffre presque contrebalancé par celles qui comptent au contraire accélérer la cadence. Enfin, un peu plus de 11% des entreprises envisagent de les différer. Une résistance qui frappe au regard de l’ampleur des incertitudes. Idem concernant l’emploi. Seules un peu plus de 6% des entreprises envisagent de revoir à la baisse leurs projets d’embauche (de les annuler ou de les différer).
Confiance, inertie et hausse de prix
L’enquête Xerfi permet d’identifier trois leviers ou facteurs qui concourent à ce volontarisme. Le premier tient au relâchement de la politique de prix, qui rompt avec des années d’interdit, qui permet d’amortir partiellement l’impact de la crise sur la profitabilité. Certes, seules 19 % des entreprises envisagent de répercuter intégralement leurs hausses de coûts dans leurs prix. Mais au-delà, plus de la moitié d’entre elles comptent mobiliser ce levier pour absorber partiellement le choc (y. compris parmi les TPE où cette proportion est de 49%). Au total, donc, près de trois quarts des entreprises disposent de cet amortisseur pour préserver en partie leurs marges. Ce que confirment d’ailleurs les enquêtes de conjoncture de l’Insee ou de la Banque de France, où la proportion des entreprises prévoyant une hausse de leurs prix de vente atteint des niveaux inégalés.
Le second levier, c’est la politique salariale. Interrogées sur les perspectives salariales, y compris en incorporant les primes et notamment la prime Macron exonérée de cotisations, les entreprises ciblent aujourd’hui 3,6% de hausse pour 2022, un chiffre qui demeure sensiblement inférieur à l’inflation. Elles sont lucidement 60% à penser que cette hausse sera supérieure en 2023. Ce qui signifie qu’elles comptent lisser l’ajustement des salaires et jouer sur l’inertie pour préserver leur trésorerie à court terme.
Enfin, dernier facteur qui explique le sang-froid des entreprises : une certaine confiance sur leurs débouchés, relégués, ce qui est peu commun au 4èmerang de leurs préoccupations, derrière les problèmes de coûts, les difficultés d’approvisionnement et de recrutement.… Bref, des problèmes d’entreprises dynamiques.
Et c’est sans doute là que le bât blesse dans l’édifice de la confiance des entreprises. Relative modération salariale, hausses tarifaires et solidité de la demande… Il y a là un triangle qui ressemble à un triangle d’incompatibilité. Et l’on peut craindre qu’entres des entreprises de transport ou de services aux ménages qui vivent encore sur leur dynamique de rattrapage post-covid, mais une dynamique qui s’épuise, des services BtoB éloignés des débouchés finaux, et quelques industries préservées (pharmacie, électronique), il y ait une perception faussée de la robustesse des débouchés.
La stagflation est un processus rampant. Et il n’est pas certain que les anticipations sur lesquelles s’arrime encore le volontarisme des entreprises résistent encore très longtemps à un freinage des débouchés qui se diffuse lentement mais sûrement.
Publié le lundi 13 juin 2022 . 5 min. 51
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