Quel jugement peut-on porter sur la France en tant que puissance économique en 2020. Cette question renvoie inévitablement au bashing auquel a été exposé le pays pendant plus de deux décennies. Système social obsolète, inertie réformatrice, système d’innovation et position de gamme médiocres, État ankylosé, dégradation de la compétitivité coût, etc… On connaît le tableau du décrochage programmé de l’économie française. Force est de constater pourtant que l’économie française n’est pas à ce jour disqualifiée à la hauteur de ce que suggérait le réquisitoire.
La France, encore dans la cour des grands
Elle demeure en 2020 la 6ème ou 7ème économie mondiale, au regard de son PIB. 6ème économie mondiale en 2018, elle devrait en 2019 rétrograder d’un cran, doublée par l’Inde. Et pourrait dès cette année reprendre son 6ème rang au Royaume-Uni. Elle demeure aussi la 5ème puissance exportatrice de biens et services derrière la Chine, les États-Unis, l’Allemagne et le Japon. La France n’a donc pas quitté la cour des grands. Et pour un pays au système institutionnel anachronique, force est de constater que la crise de 2008 ne lui a pas porté l’estocade. Le repoussoir hexagonal est même devenu paradoxalement le modèle qui s’exporte, à travers la réactualisation de la question sociale dans les pays avancés, avec l’instauration d’un salaire minimum en Allemagne, sa revalorisation au Royaume-Uni ou dans de nombreux États américains. Ces chiffres sommaires et en valeur absolue, ne doivent pas pour autant voiler le fait que la thématique décliniste s’est construite sur des constats dynamiques extrêmement préoccupants : 1) le décrochage des parts de marché françaises à l’export ; 2) une éviction ou une délocalisation de pans entiers de notre industrie ; 3) une divergence de plus en plus marquée avec l’Allemagne. Avec pour sanction un décrochage très relatif du PIB par habitant.
Les écarts avec l’Allemagne se réduisent
Poser la question de la puissance économique française, c’est d’abord acter le fait que notre économie est sortie de cet enchaînement du décrochage commercial. La grande hémorragie des parts de marché n’est plus d’actualité. Le handicap compétitivité-coût à l’égard de l’Allemagne n’a plus la même intensité. Lorsque l’on rapporte le coût horaire du travail français à celui de l’Allemagne dans les secteurs marchands, l’écart est revenu au niveau qu’il atteignait au début des années 2000. La correction est considérable. Et comme Alexandre Mirlicourtois l’a récemment surligné, la convergence des coûts horaires est saisissante dans les services aux entreprises amont à l’industrie, là où se logeait le cœur du problème. Elle est en marche aussi concernant le prix de l’immobilier, l’Allemagne n’étant plus étanche à la bulle comme elle le fut dans les années 2000, perdant de ce fait un avantage qui lui était très spécifique.
Outre la question de la compétitivité-coût, la France a aujourd’hui face à elle une hyper-puissance industrielle aux pieds d’argile. Le positionnement allemand autour de l’automobile et les biens d’équipement, et tout l’écosystème de sous-traitance bâti autour, est confronté à une véritable crise existentielle : la transition écologique, la montée en puissance technologique de la Chine, la régionalisation des chaînes de valeur, le retour en force du souverainisme commercial ébranlent les fondamentaux du modèle allemand et sa dynamique de renforcement sur un mode cumulatif. Bref, les années vingt vont rebattre les cartes et le jeu s’ouvre à nouveau pour les challengers européens.
Des multinationales toujours très puissantes
Poser la question de la puissance économique de la France, c’est aussi s’interroger sur le devenir des multinationales dont on connaît le rôle pivot sur le tissu productif hexagonal et dans la captation des marchés internationaux. La crainte de perte de contrôle et de substance de cette superstructure est réactivée à chaque perte d’un fleuron, à l’instar d’Alstom. Pourtant, aujourd’hui encore, derrière les pays anglo-saxons, la France est le pays qui compte le plus de firmes multinationales non financières dans le top 100 mondial, lorsque l’on classe ces dernières par la taille de l’actif implanté à l’étranger, devant l’Allemagne et le Japon notamment. Et encore aujourd’hui, c’est un pays qui acquière plus d’actifs à l’étranger qu’il n’en cède. Ces groupes procurent des flux de revenus entrants qui font plus que compenser notre déficit sur les biens et services. Ils confèrent surtout à la France une puissance financière, un pouvoir de marché, un pouvoir d’acquisition de brevets, une capacité de repositionnement géographique et technologique.
Face à ce jeu ouvert, aucune des puissances économiques n’a encore opéré les investissements décisifs qui la placeront en position nodale des nouvelles chaines de valeur décarbonées, à l’exception très relative de la Chine. Face à ce défi, l’Allemagne dispose de son épargne. La France, elle, peut miser sur la puissance de feu financière de ses groupes pour se repositionner, avant qu’ils ne se transforment en actifs échoués de la transition écologique. C’est l’enjeu décisif des années qui viennent et le jeu est moins fermé qu’il y a dix ans pour la France.
Publié le mercredi 08 janvier 2020 . 5 min. 50
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