Le choc du confinement est totalement incroyable, inédit sur le plan économique. C’est quoi, c’est combien, est-ce encaissable sans effondrement total du système ? Ce sont des questions parmi tant d’autres que soulève la crise du coronavirus. Pouvons-nous tenter de mettre quelques ordres de grandeur à partir de ce que nous savons déjà ? Je ne parlerai ici que du court terme.
Ce que nous savons déjà, c’est que le confinement, entre dans une phase de durcissement. Je supposerai ici qu’il sera étendu au minimum jusqu’à la fin avril, autrement dit, qu’il s’étirera sur 45 jours. Sur une année qui compte 253 jours ouvrés et 304 jours ouvrables, cela fait 32 jours ouvrés et 38 jours ouvrables potentiellement perdus dans les secteurs à l’arrêt. C’est comme si l’année était réduite de 12,5%. Si l’impression totalement subjective que le pouls de l’économie était à zéro durant toute cette période était vraie, et que rien n’était rattrapable ensuite, cela donnerait une idée de ce que produirait ce choc en termes de déperdition de croissance. Heureusement, ce n’est pas le cas. On sait déjà que la sphère dite non marchande, dont la valeur ajoutée est évaluée sur la base des coûts engagés fonctionne réellement ou virtuellement en continu : les administrations publiques, l’éducation, la santé, l’action sociale, notamment l’hébergement des seniors, soit 22% du PIB, les services immobiliers aussi, soit 12,4 % de l’économie et quelques branches marchandes qui amortissent l’à-coup, l’agriculture, les IAA, portés par les comportements de stockage, la finance (en termes d’activité j’entends), les télécommunications, certains services informatiques, la poste, les industries à cycle longs de production (aéronautique et ferroviaire) ou la pharmacie soit 13,1% etc… Bref, environ 50% de l’économie… de quoi réduire à 6% déjà le premier ordre de grandeur de baisse de PIB que j’ai mentionné.
Prenons le problème autrement maintenant. Nous savons que les ménages, durant toute cette période sont dans l’empêchement de dépenser sur toute une série de postes, du fait de la fermeture de certains circuits de distribution et de l’interdiction partielle de se déplacer. Si l’on regarde le poids de ces postes qui sont techniquement gelés, transport, loisirs et culture, hôtels et restaurants, soins etc.… cela représente à peu près 45 % des dépenses courantes. S’il n’y avait aucune possibilité de contournement par le e-commerce (qui représente aujourd’hui 9,5% du commerce de détail, cela générerait une perte de consommation de 22,5% sur le mois de mars et de 45% sur le mois d’avril, par rapport aux mêmes mois de l’année précédente. Et là encore, si rien n’est contourné par le circuit e-commerce et rien n’est rattrapé par la suite, cela fait une déperdition de consommation de 5,6% dans l’année. C’est un majorant bien sûr : Les deux « si » que j’ai mentionnés, e-commerce et non rattrapage ultérieurs sont décisifs. L’angle des ménages nous permet de prendre conscience que le confinement produit une énorme épargne forcée du côté des ménages. Or cette épargne forcée est précisément ce qui peut armer les comportements de rattrapage par la suite. Et toute la question pour estimer l’impact en année pleine du confinement, c’est bien cet enjeu du rattrapage. Quel profil aura l’activité après le confinement ? Soit, ce qui n’est pas dépensé en mars-avril est simplement reporté, annulant le choc initial. Soit, une partie seulement est reportée, atténuant seulement la perte de croissance. Soit l’économie retourne simplement à son niveau habituel, les ménages conservant leur épargne forcée par précaution … dans ce cas c’est bien 6% de perte de PIB qui est envisageable. Ou pire, les enchainements catastrophiques, les pertes de revenu, l’amoncellement des dettes privées et publiques, la panique financière la fait plonger encore en-deçà de 6%.
Puisque je raisonne à la serpe. Regardons ces secteurs sur lesquels les possibilités de rattrapage sont mineures. Ce sont les secteurs de services précisément. On ne va pas aller deux fois plus en salle de sport, au restaurant chez son coiffeur parce qu’on en a été privé pendant 45 jours, même s’il existe un effet de rush très transitoire en fin de confinement. Quel est le poids économique de ces secteurs où ce qui est perdu est peu récupérable : hôtellerie et restauration, services aux ménages, services aux entreprises, transport … si je mets bouts à bout ces secteurs je tiens à peu près un quart de l’économie. Alors osons la simplification extrême : 25% de l’économie est en quasi arrêt aujourd’hui et ne rattrape pas ou peu. Elle perd de l’ordre de 10% d’activité en 2020. 25% dévisse et rattrape à moitié le choc (cela inclut la plupart des industries et la construction) et perd 5 % sur l’année … c’est très optimiste compte tenu du dévissage du commerce international et puis 50% passe à travers se maintenant par rapport à 2019, on l’a dit… cela nous fait plus de -3,5% de PIB perdu. Cela s’appelle un calcul de coin de table. Ce sont ces calculs inavoués qui précèdent tout exercice plus sophistiqué et qui évitent d’aller dans le décor avec des modèles plus élaborés. Bien sûr que l’impact multiplicateur du commerce international n’est pas pris en compte, tout ce qui relève de la déformation des prix, des taux etc. Mais au moins ça nous donne une première idée. Et nous signale aussi que les 1,9% du PIB que veut injecter le gouvernement ne sont pas absurdes, mais seront sans doute révisés à la hausse quand l’histoire se précisera ou si le confinement s’étire plus de 45 jours.
Publié le mardi 24 mars 2020 . 6 min. 40
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