Avec l’hydrogène, les États européens auraient trouvé leur nouvelle martingale. Des milliards sont mis sur la table, notamment par les allemands et français. Cette source d’énergie s’imposerait comme la solution miraculeuse à la transition et à l’indépendance énergétique, tout en relançant l’activité. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres : le passage d’une économie carbonée à une économie de l’hydrogène n’a en effet rien d’évident sur le plan technique et économique…
Gare au greenwashing. Car dans l’hydrogène, tout n’est pas vert ! Le gris, issu des énergies fossiles, émet du CO2. On en produit déjà 10 millions de tonnes en Europe pour alimenter en composant ou en énergie la sidérurgie et la pétrochimie. Si le CO2 est récupéré par un système de capture, l’hydrogène devient bleu, certains diront bas carbone… La vraie rupture, c’est l’hydrogène vert, produit grâce à un procédé très énergivore, l’électrolyse de l’eau, et alimentée par une source d’électricité renouvelable. Si c’est par le nucléaire, on parlera d’hydrogène jaune ou décarboné. On devine déjà l’activisme de la France pour faire passer le jaune en vert et, pour d’autres pays, pour rendre l’hydrogène bleu durable.
Gare au timing. Le développement à grande échelle de l’hydrogène vert prendra du temps, loin du tempo recherché par un plan de relance. Ce n’est aujourd’hui qu’une niche et la plupart des applications envisagées sont au stade expérimental. Au mieux, la validation des technologies et des applications prendra 5 ans. Ensuite, la phase de maturation dépendra du soutien public, de la concurrence des énergies alternatives et des usages.
Gare aux faux débouchés. Sidérurgistes et groupes pétrochimiques voient un avantage réel à l’usage de l’hydrogène décarboné pour diminuer leurs émissions de CO2. Idem pour les avions, camions, bus, trains et bateaux… : l’usage de l’hydrogène vert dans une flotte, donc pour un usage régulier et à grande échelle, fait sens, car cela facilite l’implantation (et la rentabilisation) de stations de recharge. Pour la voiture particulière, c’est plus compliqué. Les propriétés physico-chimiques de l’hydrogène vert posent notamment des problèmes de stockage. Et puis peut-il faire de l’ombre aux gros progrès de la motorisation électrique alors que les constructeurs en ont fait leur nouvel éden ? La voiture à hydrogène devrait donc rester une niche pour sans doute les 10 prochaines années.
Gare à l’empreinte carbone… et aux coûts. On ne sait pas encore produire de l’hydrogène vert à grande échelle. Les plans de relance servent justement à cela, même si les coûts de construction des électrolyseurs et des nouvelles capacités électriques décarbonées s’annoncent pharaoniques. Il faudra aussi un prix du carbone élevé pour aiguiller les investissements et surtout un prix de l’électricité renouvelable très bas pour produire cet hydrogène vert. D’où l’idée de certains pays de compléter le dispositif européen en construisant des électrolyseurs offshores dans des pays où l’énergie renouvelable est abondante et peu chère comme en Ukraine ou dans les pays d’Afrique du Nord. Pour le côté durable du modèle économique, on repassera… d’autant que la facture carbone risque de s’alourdir avec les chantiers de construction des électrolyseurs.
Gare à la bulle ! Car des milliards sont sur la table, prêts à financer une multitude de projets à l’issue très incertaine. Grands groupes et start-up, en France et dans le monde, se pressent pour bénéficier des aides publiques et de l’appétit de la finance pour les nouveaux « disrupteurs » tel le fabricant de camions à hydrogène Nikola, coté en bourse, qui n’a encore rien fabriqué et sur lequel planent des soupçons de fraude et de mensonge. Dans ce futur far West de l’hydrogène, on peut regretter que les pays européens jouent chacun leur partition alors qu’américains et chinois participent également à cette course.
Publié le mercredi 21 octobre 2020 . 3 min. 58
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de Philippe Gattet
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