Les problèmes d’inattention sont le fléau du siècle. Pas seulement pour la nouvelle génération, les enfants hyperactifs incapables de se concentrer plus de quelques minutes sur les propos du professeur. Nous perdons tous nos facultés de concentration, notre capacité à vivre l’instant présent, et notre inattention s’aggrave. Il suffit d’observer les visiteurs qui vont voir la Joconde au Louvre : autrefois, ils passaient plusieurs minutes à admirer son sourire. Aujourd’hui, quelle que soit leur nationalité, ils ne restent devant le tableau de Leonard de Vinci que le temps d’un selfie. Les étudiants ne se concentrent plus sur une tache que pendant 65 secondes en moyenne, et les employés de bureau pendant 3 minutes, selon les statistiques de l’américain Johann Hari, auteur d’une enquête sur les raisons de la perte de nos capacités de concentration.
Pourquoi avons-nous des problèmes d’inattention ? Ce n’est pas tout à fait notre faute, du moins pas individuellement. Comme l’obésité, qui est liée à l’alimentation industrielle, trop transformée, et au manque de marche à pied, les problèmes d’inattention ne sont pas « une épidémie médicale, mais une épidémie sociale. »
Le phénomène provient en réalité de plusieurs causes. Parmi elles, il y a l’épuisement physique et mental provoqué par un temps de sommeil insuffisant. Depuis 1942, la durée moyenne du sommeil a reculé d’une heure par nuit et sur un siècle, les enfants ont perdu 85 minutes de sommeil par jour. Or quand les humains sont privés de sommeil, leur capacité d’attention met à clignoter.
Il y a aussi la « perturbation de l’errance de la pensée » : contrairement à ce qu’on imagine, laisser vagabonder son cerveau est très propice à la créativité. L’enfant « surbooké », qui n’a plus le temps de « s’ennuyer » entre les cours de judo, le violon et les réseaux sociaux, sera moins imaginatif et moins attentif.
L’excès d’informations est également très nocif. Plus on injecte d’informations, plus le temps de concentration sur chaque information diminue. C’est un peu comme si l’eau que vous buviez provenait d’une lance à eau... En 1986, si vous additionniez toutes les informations bombardées sur un être humain moyen – TV, radio, presse – vous obteniez un total équivalent à 40 journaux par jour. Vingt ans après, cette masse d’informations représentait 174 journaux par jour, et cela continue d’augmenter.
Il y a aussi la nourriture. En 2009, des chercheurs ont travaillé avec deux groupes d’enfants, les uns bénéficiant d’un « régime d’élimination » (c’est à dire des aliments que nos grands-parents pourraient reconnaître), les autres continuant de suivre le régime occidental. Plus de 70% des enfants du premier groupe arrivaient à mieux se concentrer, avec une augmentation de 50% en moyenne.
Mais la première cause de nos soucis de concentration est l’émergence de technologies capables de nous manipuler. L’objectif étant de nous faire rester le plus longtemps possible sur les plate-formes, qu’il s’agisse de Facebook, Tik Tok ou Instagram, les sollicitations sont sans cesse renouvelées. L’invention du « scroll infini » (le fait qu’on n’arrive jamais en bas d’une page) a augmenté de moitié le temps passé, en moyenne, sur X-Twitter.
La crise de l’attention est un problème de société. Ce n’est pas par hasard qu’elle a accompagné, un peu partout en Occident, la pire crise démocratique depuis les années 1930, celle qui porte au pouvoir de plus en plus de dirigeant populistes. Les individus incapables de se concentrer sont plus attirés par les solutions autoritaires simplistes – et moins en mesure de se rendre compte qu’elles ne fonctionnent pas. Un monde rempli de citoyens souffrant de troubles d’inattention, passant son temps à scroller sur les réseaux sociaux, sera un monde sujet à des crises en chaîne, sur lesquelles nous n’aurons aucun pouvoir.
Publié le mercredi 26 février 2025 . 4 min. 10
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