Etre le premier sur un marché ne garantit pas le succès. Ceux qui ont vécu les débuts d’internet se souviennent d’AltaVista, le premier moteur de recherche de la toile. Mis en ligne en 1995, il était le plus complet des moteurs de recherche textuelle… mais il fut détrôné par Google, plus pertinent, qui avait indexé tout le web en 1998. De même, Myspace, longtemps premier site de réseautage social, fut dépassé par Facebook, doté d’une interface plus claire.
Est-il préférable d’être « first mover » (premier entrant) ou « fast follower » (suiveur rapide) lorsque nait un nouveau marché ? Vaut-il mieux être précurseur, au risque d’essuyer les plâtres, ou poursuivant, au risque de devoir dépenser une fortune pour se faire connaître ?
L’exemple d’Amazon, premier à lancer, à l’échelle mondiale et avec de gros moyens, une librairie en ligne, et qui ne peut être rattrapé aujourd’hui, plaide pour la première hypothèse, quand les exemples d’Altavista ou de MySpace plaident pour la seconde. Mais on constate que les géants du web se battent généralement pour être les premiers et préfèrent lancer un produit imparfait plutôt que de risquer de trouver la place prise. Dans la bataille de l’IA générative où Open AI avec son Chat GPT a tiré le premier, Google, Facebook, Elon Musk ou Mistral AI, qui avaient aussi des produits en développement, ont riposté presque simultanément et bien malin qui pourrait dire qui l’emportera au final.
Plus généralement, le premier à innover, s’il est le seul propriétaire de l’innovation et qu’il peut se protéger par des brevets, sera très difficile à déloger. Il peut imposer ses normes et élever des barrières à l’entrée. Comme autrefois Microsoft avec son système d’exploitation DOS. A l’inverse, le coréen Samsung, premier à lancer un smartphone pliable en 2019, a échoué parce que son appareil n’était pas assez solide ; il a dû le retirer du marché ; Motorola et Huawai ont donc pu s’installer.
Dans une étude sur 50 produits innovants du XXème siècle*, deux chercheurs américains, Tellis et Golder, ont montré que dans près de la moitié des cas, les entreprises qui avaient développé le marché les premières avaient disparu. Les « pionniers survivants » ne détiendraient en moyenne qu’à peine 10% de leurs marchés respectifs. Et seulement 11% des leaders d’aujourd’hui seraient d’authentiques précurseurs. Car certaines sociétés usurpent leur réputation : ainsi, on croit que Procter & Gamble a inventé les couche-culottes en 1961, alors que Paddi Pads existait dès 1949.
Il y a deux leçons à cette histoire. La première, c’est que dans l’économie traditionnelle, les pionniers sont rarement capables de transformer leur innovation en produit de grande consommation. Leurs modèles sont coûteux et souvent imparfaits, faute d’avoir pu interroger au préalable de vrais consommateurs, mais aussi parce qu’ils ne veulent pas modifier leur concept initial. Ce sont ceux qui reprennent l’idée juste derrière eux qui en tirent tout le parti. Ceux-là détiennent aujourd’hui, selon la même étude, trois fois plus de parts de marché que les premiers arrivants !
La deuxième leçon, c’est que les choses peuvent être différentes dans l’économie de l’internet. Dans ce monde particulier, il semble que le précurseur ait de meilleures chances que les suiveurs, à cause de l’effet démultiplicateur du réseau et du montant des investissements à engager. Google, Facebook ou Amazon ont été véloces, ils ont investi massivement et leur offre différenciante leur assure des rentes aujourd’hui. Car ce qui est sûr, dans l’économie du troisième millénaire, c’est que le « winner takes it all » : le gagnant rafle tout.
(1) Gerard Tellis et Peter Golder, Will and Vision, How latecomers grow to dominate markets.
Publié le vendredi 5 avril 2024 . 3 min. 52
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de Christine Kerdellant
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