Ces dirigeants qui veulent des données...qui les arrangent

Avec la prolifération des tableaux de bord de gestion, des indicateurs de performance et des progiciels de gestion intégrée comme ceux proposés par les éditeurs SAP ou Oracle, vous pourriez vous dire que dans votre entreprise, les décideurs disposent de toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions de qualité. L’accès à de multiples bases de données en ligne et la multiplication des systèmes d’intelligence artificielle qui permettent de les exploiter renforce encore cette conviction : alors qu’auparavant, les décisions se prenaient bien souvent à l’intuition, elles peuvent désormais être solidement étayées par des données nombreuses, fiables et accessibles.

Or, une étude portant sur un échantillon de 14 250 salariés et dirigeants dans 17 pays, justement réalisée par l’éditeur Oracle, tempère quelque peu cet optimisme.

Il ressort en effet que 78 % des dirigeants d’entreprises (et cette proportion atteint même 83 % en France) considèrent que leurs collaborateurs utilisent les données non pas pour élaborer leurs décisions, mais qu’au contraire ils décident d’abord, puis cherchent ensuite les données qui leur permettront de justifier leurs choix. Tous les consultants connaissent cette situation : un dirigeant a une conviction, mais, par souci de crédibilité, il souhaite l’étayer par des données. Il mandate alors un cabinet de conseil pour creuser la question. Malheureusement, les consultants démontrent que la conviction est fausse. Que fait alors le dirigeant ? Il cherche un autre cabinet de conseil qui, lui, sera capable de justifier son choix. Les données sont donc instrumentalisées pour légitimer des intuitions, et non analysées pour identifier la meilleure réponse.

D’ailleurs, 74 % des salariés interrogés dans le monde (et même 77 % en France) pensent que leur entreprise prend des décisions non pas en s’appuyant sur une analyse rationnelle des données, mais plutôt en fonction de l’opinion des personnes les mieux payées dans l’organigramme. Là encore, les systèmes d’aide à la décision sont plutôt vus comme des rustines, et non comme de véritables outils au service d’une meilleure rationalité.

Au total, 24 % des personnes interrogées estiment que la plupart des décisions prises dans leur entreprise sont carrément irrationnelles.

Malheureusement, la profusion des données ne semble pas résoudre ce problème : 72 % des dirigeants estiment que le volume considérable de données auxquels ils sont exposés les a déjà empêchés de prendre des décisions, et 89 % pensent que le nombre croissant de données disponibles entrave le succès de leur entreprise. 77 % jugent que les tableaux de bord mis à leur disposition ne sont pas toujours directement liés aux décisions à prendre et que la majorité des données récoltées ne sont en fait utiles qu’aux experts qui ont conçu les systèmes d’information. Tout porte ainsi à croire que pour les décideurs, les informations sont plus une distraction qu’un soutien. Tout à leur ubris, les leaders ne s’encombrent pas du réel.

Par conséquent, la prochaine fois que vous vous interrogerez sur la rationalité des décisions prises par vos dirigeants, rassurez-vous : vous n’êtes pas seul.