Peut-être avez-vous déjà vu une présentation PowerPoint intitulée « Notre stratégie », que votre directeur a présentée en grande pompe lors d’un séminaire ou une assemblée générale. Certains cabinets de conseil en stratégie parmi les plus élitistes vont jusqu’à facturer plusieurs millions d’euros pour élaborer des documents de ce type, qui résultent de vastes enquêtes, d’analyses méticuleuses et de modélisations savantes. Il semble ainsi que Renault verse pas moins de 50 millions d’euros d’honoraires annuels au cabinet de conseil Boston Consulting Group pour obtenir ces précieuses présentations PowerPoint. Or, en dépit de leur titre, ces plans stratégiques ne sont pas votre stratégie. Ils n’en sont que le projet.
On estime en général qu’il est de la responsabilité des dirigeants d’élaborer la stratégie de leur entreprise, en se faisant éventuellement assister de consultants ou d’experts spécialisés. Cependant, si le dirigeant conçoit la stratégie, ce n’est pas lui qui la fait. Ceux qui font effectivement exister la stratégie, ce sont les salariés, par leurs actions et leurs décisions quotidiennes. Comme le disait avec malice Antoine Riboud, le fondateur de Danone, la véritable stratégie d’une entreprise, on ne la connait qu’après.
Par conséquent, quel que soit le raffinement de la présentation PowerPoint, quelle que soit l’intelligence du plan stratégique, quelle que soit la précision des analyses, si les salariés ne sont pas suffisamment informés, s’ils ne comprennent pas, voire s’ils ne sont pas convaincus, ils feront autre chose que ce qui est prévu, et au total votre superbe stratégie telle qu’elle a été conçue n’existera jamais. Un cas particulièrement caricatural est celui de la stratégie confidentielle, celle qui est enfermée dans un coffre-fort afin que personne d’autre que le dirigeant ne puisse la deviner. Soyons clairs : si votre stratégie est confidentielle, la probabilité qu’elle existe est à peu près nulle, car les salariés, nécessairement, feront autre chose.
La question intéressante consiste alors à savoir ce que fera le dirigeant s’il constate que sa belle stratégie n’est finalement pas appliquée, mais que d’autres orientations, pas nécessairement moins pertinentes, ont émergé des décisions des salariés. Va-t-il condamner ou entériner cette stratégie émergente ? C’est le dilemme auquel a été notamment confronté Carlos Ghosn chez Renault. Lorsqu’il a pris la tête de l’entreprise, il a annoncé que le futur de Renault serait la montée en gamme et la qualité, dont la Laguna devait être le fer de lance. Cette stratégie officielle est malheureusement restée sans suite, et c’est la Dacia Logan, surnommée en interne la voiture Frankenstein – car elle était au départ composée de pièces empruntées à d’autres modèles – qui a sauvé Renault. Carlos Ghosn, après certaines réticences, a fini par accepter que ce succès imprévu du low cost était devenu la véritable stratégie de Renault.
Pour les dirigeants, habitués à commander et à être obéis, il est souvent difficile de faire le deuil de leurs grandioses plans stratégiques. Pourtant, un très grand nombre de stratégies ne sont pas délibérées, et le véritable talent du dirigeant n’est peut-être pas d’imposer ses vues, mais de sélectionner parmi celles dont il aura permis l’émergence.
Quoiqu’il en soit, la prochaine fois que vous verrez une présentation PowerPoint à plusieurs millions d’euros, considérez-la pour ce qu’elle est : une présentation PowerPoint à plusieurs millions d’euros, mais vraiment rien de plus.
Publié le mardi 06 septembre 2022 . 3 min. 39
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