Savez-vous qu’il existe un paradoxe au cœur de la stratégie ?
D’un côté, la stratégie consiste à allouer des ressources qui engagent votre entreprise dans le long terme, afin de dégager un avantage concurrentiel. Vous décidez où allouer vos ressources humaines, financières et matérielles, vos savoir-faire, votre marque et vos relations – et où vous n’allez pas les allouer – mais surtout vous devez vous engager sur ces choix. En effet, si vous modifiez fréquemment vos allocations de ressources, vous n’avez aucune stratégie lisible. La stratégie implique donc des décisions pérennes.
Or, d’un autre côté, une des notions centrales en stratégie est la liberté de mouvement. Depuis au moins les travaux du Suisse Antoine-Henri de Jomini, qui a été successivement aide de camp de Napoléon puis de son ennemi le Tsar Alexandre premier, les militaires insistent sur l’importance capitale de la logistique. Ce qui fait souvent la différence, ce n’est pas la supériorité au combat, mais la capacité à accroître sa propre liberté de mouvement et à réduire celle de l’ennemi. On attribue ainsi au général américain Omar Bradley l’affirmation selon laquelle « Les amateurs parlent de stratégie. Les professionnels parlent de logistique », alors que le général français André Beaufre a déclaré : « La lutte pour la liberté d’action est l’essence de la stratégie. » Il a cité Xénophon, le philosophe grec du IVe siècle avant Jésus-Christ, selon lequel : « l’art de la guerre est l’art de garder sa liberté d’action. » Cette recherche de la liberté de mouvement, qui seule permet de saisir des opportunités inattendues et de se prémunir de menaces imprévues, est tout aussi essentielle en stratégie d’entreprise qu’à la guerre.
Par conséquent, le paradoxe est le suivant : la stratégie consiste à s’engager de manière pérenne, tout en préservant sa liberté d’action. Il faut simultanément allouer des ressources et se laisser la possibilité de les désallouer.
Comment résoudre ce paradoxe ? Il existe en fait deux approches distinctes.
La première approche, c’est l’agilité, qui consiste à privilégier avant tout la mobilité et la liberté d’action, en refusant d’engager durablement ses ressources ou en se limitant à des engagements réversibles. Cela passe notamment par le remplacement de vos frais fixes par des frais variables, ce qui implique un recours massif à l’externalisation. Cependant, si l’agilité peut vous permettre de survivre, notamment en évitant de vous enferrer dans l’erreur, elle ne vous permettra certainement pas d’obtenir un véritable succès. L’agilité, ce n’est pas une stratégie.
La seconde approche, c’est de vous engager sur vos choix d’allocation de ressources, mais tout en maintenant la capacité – rare – à renier vos engagement lorsque vous constatez au bout d’un certain temps que vos choix n’étaient pas les bons. Combien de dirigeants sont capables de conserver leur légitimité aux yeux de leurs équipes après avoir publiquement admis qu’ils s’étaient trompés ? Malheureusement, beaucoup préfèrent rester droits dans leurs bottes plutôt que de passer pour des girouettes inconséquentes, ce qui peut conduire leur entreprise à sa perte.
Au total, la stratégie repose bien sur un paradoxe, puisqu’elle consiste à concilier engagement et reniement, constance et adaptation, inertie et liberté. Mais n’est-ce pas après tout le propre de toute pensée complexe que de concilier des contraires ?
Publié le lundi 7 novembre 2022 . 3 min. 23
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